Les défis à relever

Dans la nouvelle Assemblée, tout est nouveau, sauf le projet. Et encore ! L’habileté d’Emmanuel Macron est de créer l’illusion du neuf. Il ne faut pas sous-estimer cet aspect.

Denis Sieffert  • 21 juin 2017
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Les défis à relever
© photo : Martin BUREAU / AFP

Jean-Luc qui rit, Jean-Christophe qui fait grise mine. Ce pourrait être l’image choc qui résume, du moins pour la gauche, ce second tour des législatives. Dimanche soir, le destin a séparé, semble-t-il définitivement, l’heureux élu marseillais de son très ancien camarade, avec qui il fut lointainement trotskiste et très longtemps socialiste : Jean-Christophe Cambadélis, battu et démissionnaire. Le Premier secrétaire du Parti socialiste est devenu en quelques minutes « Monsieur le Dernier secrétaire », qui n’aura même pas de successeur dans l’immédiat, sinon « une direction collégiale ». Est-ce lui, « Camba », qui va éteindre la lumière avant de refermer le lourd portail de la rue de Solférino ?

En tout cas, l’image contrastée de dimanche symbolise le « remplacement » du Parti socialiste par la France insoumise (FI), souhaité par Mélenchon. Certes, le PS dispose de plus de sièges que les nouveaux venus de FI, mais les chiffres sont trompeurs. Car, quoi de commun entre Manuel Valls (si toutefois celui-ci est confirmé dans sa victoire contestée) et un frondeur ; entre Stéphane Le Foll, « hollandais » pour l’éternité, et le « hamoniste » Régis Juanico ? Rien. Tout juste un sigle en voie d’effacement. Au contraire, le groupe parlementaire FI s’affiche homogène et même « discipliné », comme s’est plu à l’annoncer son chef. La réalité sera d’ailleurs moins simple avec quelques fortes personnalités, comme le très insoumis François Ruffin ou la porte-parole d’Ensemble !, Clémentine Autain [1]. Faut-il d’ailleurs souhaiter cette discipline ? Oui, s’il s’agit de ne pas se laisser envoûter par le discours macronien ; non, s’il s’agit de gommer les différences.

L’effondrement du PS ne changera pas la nature profonde de la gauche, qui est plurielle, et le restera. Des socialistes survivront, d’autres renaîtront, qui ne voudront pas forcément marcher dans les pas de Mélenchon. Parce que c’est un courant de pensée. Les écolos aussi, victimes collatérales du naufrage, et qui vont devoir se réinventer. Ils y parviendront car on peut tuer un parti politique, plus difficilement une idée ou une culture. Bien entendu, quand je dis « socialiste », je n’entends nullement la camarilla qui a été aux commandes au cours des dernières années. C’est elle qui a liquidé le PS, et pas Mélenchon, ni Macron, qui n’ont fait que porter le coup de grâce. Par ailleurs, la nature des relations de la France insoumise avec les communistes est toujours en suspens. Il faut être optimiste. Les échéances qui attendent la gauche ne devraient pas autoriser les querelles subalternes. Car ce qui se profile est redoutable.

Si les élus de la France insoumise pouvaient légitimement arborer un large sourire, dimanche, il ne faut pas perdre de vue que leur succès est tout à fait relatif. Le vrai vainqueur s’appelle évidemment Emmanuel Macron. Nous n’avons pas changé de république, mais le bouleversement rappelle novembre 1958, quand le parti gaullien mettait la main sur l’Assemblée. Tout est nouveau. Les formations, les députés, la sociologie, le primat du privé sur le public, le genre même, avec une spectaculaire féminisation de la représentation. La page est presque blanche. On pourra toujours dire qu’avec une si forte abstention la légitimité de Macron est discutable, mais cela ne va sûrement pas l’empêcher de lancer sa grande offensive contre l’organisation sociale de notre pays.

Tout est nouveau, donc, sauf le projet. Et encore ! L’habileté du personnage est de créer l’illusion du neuf. Il ne faut pas sous-estimer cet aspect. On ne parlera surtout pas de « libéralisme », mais de « flexisécurité ». On ne dira pas « faciliter les licenciements », mais « encourager les embauches ». On ne dira jamais « travailleur pauvre », mais retour à l’emploi « dans la dignité ». Ce qui nous est promis, c’est une régression sociale avec les mots de la modernité, et, finalement, un basculement dans un libéralisme de forte intensité. La matrice de ce discours, c’est la lutte contre le chômage. Qui peut aller contre ? Là encore, les renoncements du gouvernement précédent font argument. Après tant d’incurie et d’immobilisme, ne faut-il pas « essayer » autre chose ?

Tout cela pour dire que la bataille ne doit pas être idéologique. Personne ne convaincra en dénonçant le libéralisme. Les harangues ne suffiront pas. Il faudra démonter et démontrer. À Politis, nous nous y emploierons. La tâche s’annonce difficile. Les syndicats le sentent bien. On est frappé par l’extrême prudence de Force ouvrière. Très engagée dans la bataille contre la loi El Khomri, la confédération de Jean-Claude Mailly joue aujourd’hui la carte de la fausse naïveté : « Il faut voir. » Un mouvement social est possible. Mais il n’est pas certain. L’issue de la trop longue séquence politique dont la gauche vient de sortir affaiblie n’y aidera pas. Nos nouveaux parlementaires auront un rôle important. Ils n’auront pas le nombre, mais ils auront la tribune pour faire porter leur voix bien au-delà des murs de l’Assemblée. Ils peuvent être les vigies du mouvement social. S’ils donnent de surcroît l’image de l’unité retrouvée, leur influence sera décisive.

[1] Voir l’article de Pauline Graulle, Une « insoumission » plurielle à l’Assemblée.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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