Macron : Drôle de rêve européen et ambiguïté syrienne

La « nouvelle feuille de route » de Macron sur l’Europe oublie le social. Quant au discours sur la Syrie, il est de plus en plus ambigu.

Denis Sieffert  et  Selim Derkaoui  • 28 juin 2017 abonné·es
Macron : Drôle de rêve européen et ambiguïté syrienne
© photo : THIERRY ROGE/BELGA PHOTO/AFP

L es peuples européens, il faut être capable de les entraîner, de les faire rêver », déclarait Emmanuel Macron dans un entretien récent à sept journaux européens, dont Le Figaro. Faire rêver les peuples avec comme principal objectif une Europe de la défense, sans évoquer la question sociale, risque d’être très compliqué. C’est pourtant ce qui ressort du Conseil européen de Bruxelles, le 23 juin. Le social, Macron l’avait bien évoqué, timidement et brièvement, à plusieurs reprises, dans l’interview, dénonçant des « inégalités » qui « s’aggravent partout dans le monde », et préconisant, du moins en parole, « une Europe qui protège contre les dérèglements de la mondialisation », et qui puisse « assurer la justice sociale »… Mais à Bruxelles, seule la question des travailleurs détachés a été abordée. Et encore, de façon très limitée. Comment, d’ailleurs, pourrait-il en aller autrement, alors qu’une réforme très contestée du code du travail est la pierre angulaire de la « politique sociale » du gouvernement ?

Au-delà du discours, on en sait donc déjà un peu plus sur le « rêve européen » du nouveau Président français, et surtout sur les difficultés rencontrées dès sa première sortie européenne. Certes, Angela Merkel s’est engagée à étudier le renforcement de la coopération entre les pays de la zone euro voulu par Macron, avec la création d’un « budget » et d’un « super ministre des Finances », mais l’Allemagne maintient ses « conditions », comme le respect par la France de l’austéritaire TSCG – ratifié par Hollande en 2012 –, qui lui fait obligation à ne pas dépasser la barre des 3 % de déficit. Ce qui n’est d’ailleurs pas pour déplaire au Président français, dont c’est aussi la doctrine.

Autre dossier, le contrôle des investissements chinois, sur lequel Macron se heurte à plusieurs réticences européennes, dont allemandes encore. Lors de sa campagne, il avait proposé de mettre en place « au niveau européen » un « instrument de contrôle des investissements étrangers en Europe ». Les investisseurs chinois, souvent très intéressés par les entreprises industrielles de pointe européennes – notamment allemandes –, seraient ainsi les principaux concernés par cette mesure. Mais la grande ambition de Macron, c’est l’Europe de la défense. Ce qui n’est pas pour susciter l’enthousiasme populaire… D’autant que le fantôme de la défunte Communauté européenne de défense (CED), proposition française finalement rejetée par l’Assemblée nationale en 1954, n’est jamais très loin. Emmanuel Macron a fait le pari d’instaurer une politique de défense et de sécurité commune en Europe, et qualifie « d’historique » la validation par le Conseil européen de la création d’un fonds européen pour la défense.

La problématique n’est évidemment plus celle de 1954. Il s’agit aujourd’hui de lutte contre le « terrorisme ». Avec toujours cette promiscuité dérangeante entre ce thème et celui de l’immigration. Macron dit vouloir réformer en profondeur « le système de protection de nos frontières », et établir « une politique migratoire et de droit d’asile commune en Europe », précisait-il dans l’interview aux journaux européens. Le Président rappelait par ailleurs le « devoir d’hospitalité et d’humanité » de la France envers les « réfugiés ». Là encore, le discours provoque l’incrédulité lorsqu’au même moment le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, montre crûment les limites de « l’hospitalité » française (lire « Ce très droitier Monsieur Collomb »). Cela, alors que depuis le début de l’année, près de deux mille personnes auraient trouvé la mort en Méditerranée en tentant de rejoindre une Europe qui paraît impuissante et parfois hostile.

Quant à la question des travailleurs détachés, elle n’a guère progressé durant le premier sommet européen d’Emmanuel Macron. Sa promesse de campagne était déjà modeste. Il s’agissait de limiter la période de détachement à un an au lieu des 24 mois proposés par la Commission, et d’aligner les rémunérations des travailleurs détachés sur ceux de la main-d’œuvre locale, alors que la directive de 1996 obligeait les employeurs à leur verser le salaire minimum du pays d’arrivée. Le Conseil européen avait repoussé toute décision à l’automne, les pays de l’Est étant très réticents à l’idée de réformer cette directive. Ce sujet était au menu de la rencontre d’Emmanuel Macron avec les membres du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie). Blocage assuré. C’est donc tout pour le « social », et pour le « rêve européen ».

L’autre grand sujet de politique internationale du moment sur lequel Emmanuel Macron est attendu, c’est évidemment la Syrie. Et, par extension, les relations de la France avec la Russie de Vladimir Poutine. Si le Président français avait semblé faire preuve de fermeté lors de sa rencontre avec son homologue russe, le 29 mai à Versailles, il a beaucoup rétropédalé depuis, notamment sur la question syrienne. Là encore, comme sur la question européenne, il y a loin des propos de campagne à la réalité présidentielle. Si bien qu’on ne sait plus très bien où en est le Président français.

Le 18 avril, en réponse au collectif Pour une Syrie libre et démocratique, le candidat Macron avait estimé que le maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad, qui a commis « des crimes contre son peuple », ne pouvait « en aucun cas être une solution ». Changement de ton le 21 juin : « Le vrai aggiornamento que j’ai fait sur ce sujet, c’est que je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar Al-Assad était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime ! » Question : Bachar Al-Assad est-il légitime ? L’autre ambiguïté résulte des priorités fixées par le Président français : « Un : la lutte absolue contre tous les groupes terroristes. Ce sont eux, nos ennemis. […] Deux : la stabilité de la Syrie, car je ne veux pas d’un État failli. » Ce qui procède d’une analyse contestable qui omet la responsabilité de Damas dans l’extension du terrorisme et son exploitation, et suggère que le régime assure la stabilité du pays. Emmanuel Macron assortit tout de même ce tournant d’une vague menace : « S’il est avéré que des armes chimiques sont utilisées sur le terrain et que nous savons en retracer la provenance, alors oui, la France pourra frapper seule pour détruire les stocks d’armes chimiques identifiés. » Mais cela fait combien de fois déjà que le régime a eu recours aux armes chimiques ?

La France ne bouge pas, en revanche, sur le dossier ukrainien. Pas question de reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie, a réaffirmé le Président le 26 juin, alors qu’il recevait son homologue ukrainien, Petro Porochenko. Au moins quelque chose de clair.

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