Photographie : sortir de l’invisibilité les « femmes oubliées »

Le photographe Erwan Balanant et la journaliste Éloïse Bouton ont suivi pendant six mois les maraudes de l’Association pour le développement de la santé des femmes. Leur exposition « À la rencontre des femmes oubliées » met en lumière ces femmes isolées par la pauvreté.

Maïa Courtois  • 14 juin 2017
Partager :
Photographie : sortir de l’invisibilité les « femmes oubliées »
© PHOTO : ERWAN BALANANT / Texte Eloïse Bouton / Avec l'autorisation de l'ADSF

Vue nocturne d’un bidonville en Seine-Saint-Denis, où un visage de femme apparaît, semi-éclairé, dans l’ouverture d’une cabane. Chambre triste d’un hébergement d’urgence. Yeux souriants levés vers les bénévoles entourant le lit. Mains posées sur le bas-ventre, pour montrer une douleur jusque là tenue cachée. Femmes jeunes ou âgées. Enceintes. Malades. Accueillantes. Parfois fuyantes.

Les photographies d’Erwan Balanant, exposées à la galerie La Ville A des Arts dans le XVIIIe arrondissement de Paris, sont pudiques et nécessaires. Après six mois de suivi des maraudes nocturnes, chaque mardi et jeudi, de l’Association pour le développement de la santé des femmes, c’est à son tour de nous emmener « À la rencontre des femmes oubliées ». Celles qui « sont dans nos rues, en bas de chez nous : mais invisibles et dont on ne parle pas, parce que leur situation est à la croisée de plusieurs tabous : la précarité, les femmes, la sexualité… », glisse la journaliste Éloïse Bouton, auteur des textes qui accompagnent les photographies.

© Politis

L’association pour le développement de la santé des femmes fait un travail de prévention autour des questions de santé et de sexualité « pour éviter les grossesses non désirées ou les violences sexuelles » auxquelles les femmes sans abri sont particulièrement exposées. Et puis il y a des détails qui n’en sont pas lorsque l’on est une femme à la rue… Les règles, par exemple. Éloïse Bouton s’en est rendu compte, « les protections périodiques, c’est le graal ! Parce que c’est cher, qu’elles n’osent pas demander au mari d’en acheter… Alors elles recherchent ça plus encore que les produits plus chers comme le maquillage ou le shampoing qu’on leur apporte. »

En plus de vivre cachées pour se protéger des violences de la rue, ces femmes que la précarité isole rencontrent de nombreux obstacles à l’accès aux droits communs. Certaines sont prisonnières de violences conjugales, d’autres logées par le Samu Social en périphérie des services sociaux et médicaux, d’autres encore ne parlent pas français, ou n’ont pas les papiers nécessaires pour prétendre à l’aide médicale d’État. « 70 % des femmes enceintes que nous avons rencontré dans nos maraudes en 2016 n’avaient pas vu un seul médecin depuis le début de leur grossesse », raconte Nadège Passereau, déléguée générale de l’ADSF.

Rien qu’en 2016, pour neuf villes d’Île-de-France, les 80 bénévoles d’ADSF ont accompagné 400 femmes. Et depuis la création de l’association, ce sont pas moins de 6 000 femmes qui ont bénéficié de fiches de suivi, contacts téléphoniques réguliers, aide à la prise de rendez-vous et à l’accès aux droits.

© Politis

Aujourd’hui en France, deux SDF sur cinq sont des femmes. Une proportion en constante augmentation : en 1999, on comptait 17 % de femmes parmi les sans-abris, puis 25 % en 2004, et 38 % en 2013. Alors il s’agit d’ « aller vers elles, où qu’elles soient » – rues, bidonvilles, hôtels, squats – pour « ouvrir la porte, et ouvrir le dialogue », dont Karine Renaudie, présidente de l’ADSF, assure qu’il est toujours bienveilllant. Éloïse Bouton parle, elle, d’un « besoin mutuel : pour ces femmes, de parler ; et pour les bénévoles, de comprendre au-delà des clichés » : la pauvreté alors qu’on se démène à cumuler plusieurs boulots, les enfants à élever seule, l’accès aux droits plus compliqué qu’on ne le croit… Une réalité complexe et intriquée que cette exposition photographique donne à voir. Tout en nous encourageant à moins détourner le regard.

Jusqu’au 18 juin, à la Galerie La Ville A des Arts, Paris XVIIIe

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

« Le RN reste un parti hostile à tout mouvement social »
La Midinale 12 septembre 2025

« Le RN reste un parti hostile à tout mouvement social »

Safia Dahani, docteure en science politique, co-directrice de l’ouvrage Sociologie politique du Rassemblement national aux Presses universitaires du Septentrion, est l’invitée de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Ce que « Bloquons tout » peut construire en vue du 18 septembre
Décryptage 11 septembre 2025 abonné·es

Ce que « Bloquons tout » peut construire en vue du 18 septembre

Plus de 200 000 personnes se sont mobilisées ce 10 septembre. Des chiffres qui dépassent largement les estimations du gouvernement, même si cela reste peu en comparaison de la lutte contre les retraites. Un tremplin vers la mobilisation intersyndicale du 18 septembre ?
Par Pierre Jequier-Zalc
« Nos enfants qui vivent mieux que nous est une idée très largement menacée »
Entretien 11 septembre 2025 abonné·es

« Nos enfants qui vivent mieux que nous est une idée très largement menacée »

Historienne et spécialiste des mouvements sociaux et des mobilisations féministes, Fanny Gallot appelle à « désandrocentrer » le travail pour appréhender la diversité du secteur reproductif, aujourd’hui en crise.
Par Hugo Boursier
10 septembre : « Pourquoi est-ce toujours aux jeunes des quartiers de rejoindre les mobilisations ? »
Analyse 11 septembre 2025 abonné·es

10 septembre : « Pourquoi est-ce toujours aux jeunes des quartiers de rejoindre les mobilisations ? »

Le 10 septembre devait rassembler tout le monde. Pourtant, les jeunes des quartiers populaires étaient peu représentés. Absents ou oubliés ? Dans les rassemblements, au sein des associations et pour les jeunes eux-mêmes, la question s’est posée.
Par Kamélia Ouaïssa et Pauline Migevant