Réponse à Claire Leconte : la classe le samedi matin, une fausse bonne idée

Ingrid Brulant, cofondatrice et porte-parole du collectif des parents de la métropole lilloise, a souhaité réagir à notre entretien avec la chronobiologiste Claire Leconte, « Rythmes scolaires : “Rester sur 5 jours et revoir la copie !” ».

Ingrid Brulant  • 13 juin 2017
Partager :
Réponse à Claire Leconte : la classe le samedi matin, une fausse bonne idée
© photo : AMÉLIE BENOIST / BSIP

En matière de rythmes scolaires, « nous voulons des consensus locaux » insiste le nouveau ministre de l’Éducation. Pour la « convergence de vues » entre commune et communauté éducative (principe fondateur du code de l’éducation), à Lille – qui a fait le choix iconoclaste du samedi matin scolaire en 2014, et entend bien le garder –, c’est zéro pointé.

Le débat sur les rythmes scolaires est donc rouvert. En bref, les 4,5 jours d’école ont été réintroduits en France en 2013 (pour les écoles publiques tout au moins) après cinq ans d’une école sur 4 jours seulement. À une différence notable près : la 5e matinée est désormais le mercredi matin, le samedi étant devenu dès 2008 le temps des familles. Des personnalités de tous bords volent ces jours-ci au secours de la semaine des 4,5 jours d’école. Ils dénoncent la tentation de la semaine de 4 jours, avec des journées d’école trop longues, associées à une année scolaire trop courte.

Jusque-là, pas de problème. Sauf que pour répondre aux détracteurs du mercredi scolaire, on voit poindre, en alternative, un soutien au samedi d’école. Ainsi, quatre sénateurs conseillent de remettre la possibilité de faire classe le samedi dans le droit commun, et plus généralement de « favoriser les initiatives et les adaptations locales ». À part satisfaire certains maires, on se demande bien quelle mouche les a piqués. La docteur en psychologie lilloise, Claire Leconte, grande défenderesse du samedi scolaire en métropole lilloise, continue de vanter les mérites de l’organisation lilloise.

À lire >> Rythmes scolaires : « Rester sur 5 jours et revoir la copie ! »

En 2014, Lille et une vingtaine d’autres communes disséminées en métropole lilloise (sur les 80 qu’elle compte) ont imposé pour trois ans le samedi d’école, sans réelle concertation. Sous couvert du bien-être des enfants, des impératifs financiers, organisationnels (cantine à assurer le mercredi midi, volonté de préserver le tissu associatif, etc.), voire idéologiques ou clientélistes, l’ont emporté. Les samedis d’école « à la lilloise » n’ont plus rien à voir avec nos bons vieux samedis d’antan. Ils sont isolés sur le territoire (1,8 % des communes françaises) et systématiques (100 % sont travaillés, lendemains de jours fériés ou samedis de vacances compris). Dans la France d’aujourd’hui, ces samedis scolaires impactent les autres temps des enfants (temps de loisirs, temps en famille) comme les organisations familiales, dans toute leur diversité (familles séparées, recomposées, mobiles, etc.).

Les maires nous l’ont imposé, nous l’avons testé. Trois ans plus tard, s’il y a bien une communauté éducative à convaincre de l’intérêt des 5 matinées, ce sont bien les parents et les enseignants lillois qui, jusqu’à présent, et sans aucun succès, réclamaient à passer enfin au mercredi d’école. Contrairement à ce que laisse entendre l’interview de Claire Leconte, l’organisation lilloise (à un groupe scolaire d’exception près) ne favorise absolument pas de longues matinées et des après-midi raccourcies (ce que les experts appellent effectivement de leurs vœux). Les 12 000 petits Lillois ont classe 3 heures le matin, 2 h 35 l’après-midi, sauf un après-midi comprenant une activité périscolaire de 1 h 35. Ces activités sont – au passage – de qualité très variable, mais il est difficile d’épiloguer car il n’existe aucune évaluation.

77 % des parents préfèrent le mercredi scolaire au samedi

La vraie spécificité de l’organisation lilloise, c’est bien le samedi scolaire et son acolyte, le mercredi vaqué. Toujours selon Claire Leconte, « les enseignants [lillois] sont très satisfaits de cette organisation depuis des années ». Une affirmation qui ne tient pas à l’examen des faits : seuls 6 conseils d’école sur 79 se sont exprimés, malgré les pressions, en soutien du samedi, au début de l’année 2017. Selon leurs syndicats, trois quarts des enseignants rejettent le samedi scolaire. Et ce, après expérimentation.

Côté parents, et selon une consultation citoyenne de juin 2016 qui n’a surpris personne (à défaut de consultation municipale, toujours refusée), 77 % préféraient le mercredi scolaire au samedi. Plus grave, il manque deux tiers des enfants en maternelle le samedi (!), et 1 enfant sur 5 à l’école élémentaire. Rares sont les enfants ne manquant jamais un samedi dans l’année, au gré des évènements familiaux, des compétitions sportives, etc. Cet absentéisme structurel, particulièrement marqué dans les « quartiers », n’émeut pourtant (toujours) pas les décideurs locaux, alors qu’à lire l’Inspection générale de l’éducation nationale, « les organisations engendrant des taux d’absence excessifs » ne devaient pas pouvoir être maintenues.

Au total, donc, le samedi matin d’école ne devrait plus être une option, au vu du rejet des communautés éducatives concernées, de l’absentéisme, et des inégalités qu’il génère. Le temps de l’école rythme la société. Il structure tous les autres temps de l’enfant, comme la vie professionnelle des parents. Les rythmes à l’école doivent se construire avec les familles, pas contre elles.

Oui, il faut de véritables consensus locaux, incluant les parents, premiers éducateurs de leurs enfants.

À défaut, on s’expose au double échec lillois : la négation de la démocratie participative (les parents n’ont pas eu voix au chapitre) et l’échec du « bien apprendre » (objectif principal de la réforme), puisqu’inéluctablement, et quoi qu’en pensent les donneurs de leçons, il manque bien trop d’enfants ce matin-là sur les bancs de l’école.

Société Éducation
Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don