Violences policières : un mois de morts et de blessés

Ces dernières semaines, la recrudescence des violences policières a de quoi inquiéter, comme le flou judiciaire et le silence politique qui les entourent. Nous avons recueilli le point de vue de Farid El Yamni, lui-même pris dans une bataille juridique autour de la mort de son frère.

Maïa Courtois  • 23 juin 2017
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Violences policières : un mois de morts et de blessés
© PHOTO : NNOMAN CADORET / CITIZENSIDE

Samedi à 15 heures, un rassemblement est prévu devant le commissariat du Val-d’Oise responsable de l’interpellation de Foued, le 1er juin à Pontoise. Il était alors 5 heures du matin. C’est seulement vers 16 heures que la famille, partie à la recherche de Foued toute la journée, parvient à obtenir l’information du commissariat : Foued a été interpellé au petit matin… et hospitalisé par la suite. Le trentenaire, père de deux enfants, aurait passé dix heures dans le coma. Une information difficile à prouver, puisqu’à ce jour ni la famille ni l’avocate de Foued n’ont eu accès au dossier médical. Et Foued, dont le visage porte des marques de coups, souffrirait d’amnésie partielle. À sa sortie de l’hôpital, il a été directement placé à la maison d’arrêt d’Osny, où il se trouve toujours. La famille réclame qu’il en sorte, pour être de nouveau hospitalisé.

Une sombre liste

Foued : un nom de plus sur une sombre liste, qui s’est particulièrement allongée en quelques semaines. En un mois : deux décès, deux comas, des blessures. Le 5 mai, le jeune Curtis, poursuivi par une voiture de police alors qu’il roule en quad, décède en percutant un bus. Le 1er juin, interpellation, hospitalisation, puis incarcération de Foued. Le 14 juin à Créteil, Patrick Larose, père de quatre enfants, roule en scooter lorsqu’une voiture de la DRPP (renseignements parisiens) le renverse : il décède sur le coup.

Le lendemain, au Pré-Saint-Gervais, Akram roule aussi en scooter lorsqu’il se fait bousculer par un policier qui cherche à l’interpeller : le jeune homme se trouve depuis entre la vie et la mort. Wahid, 16 ans, est lui hospitalisé depuis plus de deux semaines et s’est vu prescrire 90 jours d’ITT : sa jambe est gravement blessée. Il garait son scooter dans une impasse du XXe arrondissement et était à l’arrêt quand une voiture de police a tamponné le scooter, éjectant le jeune homme contre le mur. En finissant sa course, la police a écrasé la jambe de Wahid, coincé entre le scooter, le mur et le devant de la voiture.

« Il y a une poussée de fièvre, certains diraient une hécatombe. Bien sûr, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : des violences policières, il y en a tous les jours. Mais d’habitude, on est sur une moyenne d’un cas de violences policières signalé par mois. Nous sommes dans un contexte de transition politique, alors la police teste les limites », s’attriste Farid El Yamni, membre du collectif Urgence notre police assassine, qui mène bataille depuis 2012 pour obtenir toute la lumière autour de la mort de son frère, décédé suite à son interpellation le soir du Nouvel An 2012, à Clermont-Ferrand.

« Oui mais qu’est-ce qu’il a fait ? »

À chaque fois, les circonstances sont floues et les versions contradictoires. Dans le cas du quinquagénaire décédé dans l’accident mortel de Créteil, les policiers disent avoir activé leur gyrophare, tandis que des témoins affirment l’inverse. Pour le jeune Akram, la thèse de la bousculade telle qu’elle est rapportée par des témoins est contredite par celle de la police, qui affirme que le fonctionnaire a mis son bras pour se protéger de l’avancée du scooter.

Et pour Curtis ? Est-il mort d’un choc contre le bus suite à une perte de contrôle, ou renversé par la police ? « Chaque affaire est différente, mais il y a des tendances communes », souligne Farid El Yamni. Lier ces histoires permet de prendre le contrepied de l’idée qu’elles sont des exceptions : « Les seules affaires où il y a condamnation, c’est là où la police des polices, l’IGPN, est sévère : mais ça concerne une affaire sur cent… ce qui permet d’effacer les 99 autres, tout en donnant aux gens l’image que justice est faite ». Le commissariat concerné par l’affaire de Foued est « le même que là où, en mai, un étudiant s’est fait serré les testicules par un policier et s’est pris des coups », souligne Farid El Yamni. Le témoignage de Pierre B., étudiant ingénieur, avait été rapporté par Le Parisien. Farid El Yamni déplore donc un « laissez-faire » : « L’histoire de Foued, c’est ce qui arrive quand les violences commises ne sont pas punies… ».

Non pas des bavures, mais une mécanique bien huilée, intégrée dans les pratiques ? C’est le sentiment qu’a le frère de Wissam El Yamni : « Ce qui me fait peur, c’est cette forme d’habitude qu’a prise le système police-justice. Ne pas apprendre de ses erreurs, tenter à chaque fois de déformer la vérité, étouffer les affaires… » D’abord en dressant des obstacles à l’accès aux informations, notamment médicales. « Le cas de Foued ressemble beaucoup à l’affaire de mon frère : ils avaient trafiqué les photos, attendu que dix jours se passent… car le corps cicatrise. N’importe qui dans cette situation doit avoir des examens médicaux, et là, la famille de Foued n’est au courant de rien. »

Autre manière d’enterrer ces dossiers : nourrir la « suspicion » dans l’esprit des gens à l’égard des victimes, les freiner dans leur « empathie » en « criminalisant la personne, et en cassant les familles ». C’est la fameuse image des « racailles » qui sous-entend qu’au fond, ils l’ont bien cherché… Image qui a rendu automatique (et très utilisée médiatiquement) la question « oui mais qu’est-ce qu’il a fait ? ». Une question précédant toutes celles autour des faits de violence constatés. Et qui occulte des évidences déontologiques : la police peut et doit relever la plaque d’immatriculation, plutôt que faire chuter un scooter ou lui rentrer dedans.

« Votre vie ne vaut rien »

« En plus de vivre une injustice, ces personnes connaissent le mépris », résume Farid El Yamni. Les formes que prennent les violences physiques – être « écrasé » contre un mur comme Wahid ou « se prendre des coups de pieds dans la tête » – en deviennent des images symboliques. « Le message qu’on vous envoie, c’est : votre vie ne vaut rien, elle est inutile. Un Arabe, un Noir, son corps ne lui appartient pas. » D’où un sentiment « d’impuissance, de dépossession » que décrit ce frère engagé physiquement, psychologiquement et financièrement depuis des années, dans un dossier judiciaire qui s’enlise peu à peu.

Et puis il y a l’impression que « des gens ont le droit à l’erreur, et d’autres non ». Farid se souvient « Mon frère est décédé suite à une interpellation, pour avoir jeté une pierre sur une voiture de police. Trois mois plus tard, le fils de Nicolas Sarkozy a fait la même chose : il s’est amusé à jeter avec des copains des projectiles sur une policière : il s’est fait traité de petit con, il y a eu des excuses, et c’était réglé. »

Le sentiment qui en découle est celui d’une profonde exclusion : « J’ai l’impression que vivre en France, pour nous, c’est comme rentrer dans une soirée ou vous n’êtes pas invités ». Autour de ces cas de violences policières se cristallisent des discriminations en tous genres : « racisme, classe sociale, inégalités devant la loi… », liste Farid El Yamni. En même temps, cette « violence d’État », il la voit comme un « talon d’Achille » : « Tout le pouvoir des autorités policières et judiciaires repose sur leur image : un système qui fait croire aux droits de l’homme. Mais ce système ne fonctionne que tant que les gens lui font confiance. »

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