« Detroit », de Kathryn Bigelow : Sadisme et répression

Dans Detroit, Kathryn Bigelow raconte l’insurrection des Noirs en 1967, à travers un épisode de violence policière extrême.

Christophe Kantcheff  • 11 octobre 2017 abonné·es
« Detroit », de Kathryn Bigelow : Sadisme et répression
© photo : Francois Duhamel

La ville de Detroit, en 1967, est le théâtre d’un énorme mouvement de révolte de la communauté noire. C’est le point de départ du film de Kathryn Bigelow, dont la première partie installe le contexte : celui de la ségrégation raciale, des violences policières, incessantes et impunies. Cette ouverture est cinématographiquement très forte, la cinéaste mêlant images d’archives, suite de tableaux du peintre noir Jacob Lawrence intitulée « Migration Series », et scènes fictionnelles. Sa caméra explore la ville, où la tension est maximale. Des scènes de pillage se greffent au mouvement insurrectionnel, d’autant que la puissance publique a déserté le terrain, laissant la place à la police et à l’armée.

Puis Kathryn Bigelow resserre la focale sur l’Algiers Motel, où un groupe d’amis noirs a la mauvaise idée de faire exploser des pétards à la fenêtre d’une chambre. Dans ce motel, se trouve également le jeune chanteur, Larry Reed (Algee Smith), d’un groupe musical, les Dramatics, qui vient de rater de peu une audition pour le prestigieux label Motown.

Detroit prend alors un autre tour. La police croit à un tireur retranché. Un groupe de flics, menés par un certain Krauss (Will Poulter), fait irruption dans l’Algiers Motel où ils vont instaurer la terreur. Moins physiquement que psychologiquement : prenant les présents en otages (des Noirs et deux jeunes filles blanches), tous plaqués contre un mur, ils extraient régulièrement l’un d’entre eux et font croire aux autres qu’ils l’ont exécuté. Le film se concentre dès lors sur ces séquences de torture morale insupportables et répétitives. On peut songer au sadisme de Funny Games, le film de Michael Haneke, et à la volonté explicite du cinéaste autrichien de faire souffrir son spectateur. À la différence que Kathryn Bigelow reconstitue un épisode réel, qu’on peut qualifier d’historique.

En choisissant de raconter celui-ci, la cinéaste met en scène un policier, Krauss, nettement psychotique, et donc exceptionnel. Ce qui a pour effet de relativiser l’« ordinaire » des violences policières. C’est la limite de ce film, qui a pour grand mérite de raviver la mémoire sur cet événement tragique (les policiers ne furent pas sanctionnés), et de résonner avec l’actualité états-unienne. Outre-Atlantique, Detroit a déclenché une autre polémique : certains groupes afro-américains reprochent à la cinéaste, blanche, de s’être emparée de leur histoire. Une controverse qui rappelle celle que l’exposition-performance Exhibit B, œuvre du Sud-Africain blanc Brett Bailey, avait déclenchée en France.

Detroit, Kathryn Bigelow, 2 h 23.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes