Industrie automobile : le ras-le-bol des intérimaires

Sur fond de chômage partiel, l’usine Renault Flins, dans les Yvelines, fait face à une fronde inédite des salariés en intérim, révélatrice d’une situation devenue insoutenable, entre heures non payées et pressions des agences de travail temporaire.

Marine Caleb  • 27 octobre 2017
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Industrie automobile : le ras-le-bol des intérimaires
© photo : ÉRIC PIERMONT / AFP

C’est l’abus de trop pour les intérimaires de l’usine Renault de Flins-sur-Seine, dans les Yvelines. Le manque de pièces cause un arrêt de production, si bien que le chômage partiel attend les salariés pour la semaine du 30 octobre au 5 novembre. Pour une grande partie des intérimaires, qui représentent moins de la moitié des employés de l’usine, cela implique de ne recevoir aucune rémunération.

Cet arrêt de production s’ajoute à la pile de problèmes récurrents auxquels font face chaque jour les intérimaires. « Cela fait des années qu’on n’a pas eu d’intérimaires qui débrayent. Maintenant, on remarque que les gens en ont ras-le-bol et ça commence vraiment à bouger », constate Laëtitia Gomez, secrétaire à l’information de la CGT Intérim. Ils étaient 14 intérimaires à débrayer à l’usine PSA Sochaux les 13, 14 et 20 octobre et 80 les 19 et 20 octobre à PSA Rennes. Une grève, ou du moins des débrayages, se préparent à l’usine des Yvelines à compter du 30 octobre. « La grogne monte et je pense que cela ne va pas s’arrêter là », constate la syndicaliste.

Les problèmes rapportés concernent majoritairement des primes non versées et un traitement inégalitaire entre salariés à statut et intérimaires. Déjà en 2015, 1 800 intérimaires de l’usine Renault de Flins faisaient grève pour protester contre les irrégularités des fiches de paie. Deux ans plus tard, Philippe Gommard, représentant de la CGT Renault Flins, confirme que ce problème est encore routinier et qu’il atteint son apothéose avec l’arrêt de production. Les CDI et une partie des contrats temporaires seront payés grâce à la cinquième semaine et au système de capital temps collectif (appelé « pot commun » par Laëtitia Gomez) instauré par l’entreprise. Parmi les 2 030 intérimaires de l’usine, ceux qui ont encore de ce capital seront payés au moins partiellement. Mais les autres verront leur contrat suspendu pour la semaine, sans rémunération. À quoi la direction a répondu « c’est la vie ! », rapporte Laëtitia Gomez. Si le contrat signé entre l’entreprise et le travailleur stipule qu’aucune rémunération n’est prévue en cas de chômage partiel, aucun recours n’est possible. « Si ce n’est pas stipulé sur le contrat, effectivement, il faut qu’ils fassent la demande à leur agence d’intérim », complète Laëtitia Gomez.

Abus des agences

Ce n’est pas seulement aux entreprises comme PSA ou Renault que les intérimaires reprochent de ne pas respecter leurs droits. Ils se plaignent aussi des manquements des agences d’intérim. Un intérimaire rattaché à Adecco, Ahmed [1] raconte que l’agence a mis trois semaines à lui envoyer l’attestation d’employeur nécessaire pour obtenir le remboursement de ses deux semaines de congé maladie. Un document qui doit pourtant être envoyé spontanément par l’agence au travailleur. De même pour Aïda, qui suite à un accident du travail, a vu son arrêt maladie contesté par Adecco. L’agence l’a mise à pied pour faute grave et elle n’a toujours pas pu reprendre le travail.

C’est aux intérimaires lésés de demander recours à leur agence s’ils veulent un jour être payés. « Tant qu’elles n’ont pas un intérimaire qui connaît ses droits et qui les revendique ou un syndicat comme la CGT qui leur tape dessus, ils ne vont pas chercher », explique Laëtitia Gomez. Cela fait depuis février 2017 qu’Ahmed a demandé le remboursement de ses heures supplémentaires impayées, en vain. Et ce n’est pas faute d’avoir appelé Adecco, qui continue de ne pas donner suite à ses appels ou de le « faire tourner en rond » entre les différents services, comme il l’explique avec dépit.

© Politis

Tout comme Mohammed Berrouigat, ancien intérimaire pour Renault Flins et lui aussi rattaché à Adecco. Il a dû faire appel à l’Inspection du travail pour rectifier des dates de contrats erronées. À ce jour, ses heures supplémentaires et ses jours fériés demeurent impayés. Il hésite à engager un avocat pour attaquer l’agence, notamment parce que son agence lui a refusé un « CDI intérim ».

Ce contrat garantit une rémunération mensuelle fixée d’un commun accord entre l’agence et le travailleur, même quand l’agence n’arrive pas à trouver assez de missions pour que l’intérimaire touche ce salaire minimum. « Si l’agence d’intérim ne vous trouve du travail que sur deux semaines dans le mois et que ça ne couvre pas ce salaire, vous touchez une garantie mensuelle minimum de rémunération. Mais parfois, elle force les intérimaires à poser des congés, sans solde ou des congés payés », détaille Laëtitia Gomez qui ne compte plus les litiges engendrés par ce type de contrat.

Des recours risqués pour les travailleurs

« Le problème est qu’ils n’osent pas se plaindre, de peur d’être blacklistés dans leur agence ou qu’on leur repropose plus d’emploi, alors des fois ils ferment les yeux », regrette Laëtitia Gomez. Il est risqué pour un travailleur intérimaire de dénoncer des manquements ou des abus, mais aussi de débrayer comme l’ont fait les employés du groupe PSA. « Suite au débrayage à Rennes des 80 intérimaires, [les agences] mettent fin aux missions des intérimaires, donc on est en train de rencontrer les directions de Manpower, Adecco et Synergie ». Sur les 14 travailleurs qui ont débrayé à PSA Sochaux, quatre n’ont pas vu leur contrat renouvelé, alors qu’ils avaient été formés pour terminer la saison au sein de l’usine. Comme le résume la syndicaliste, c’est de cette manière que leur est enlevé leur droit à la grève.

« C’est quand ils n’ont plus rien à perdre, en se disant qu’ils vont trouver un emploi dans une autre agence, qu’ils parlent », déplore-t-elle. Mohammed Berrouigat fait partie de ces désespérés. Avoir eu recours à l’Inspection du travail est ce qui a selon lui mis fin à son contrat. « Ma mission s’est terminée au bout de 11 mois, alors qu’elle devrait durer 18 mois normalement », dit-il avec ressentiment. Cela fait deux mois qu’il ne travaille plus. Il s’est inscrit auprès de Manpower pour reprendre son ancien travail, comme convenu avec son responsable à l’usine.

La peur règne dans le monde de l’intérim. Ceux qui, comme Mohammed Berrouigat, osent parler ne le font pas sans crainte de représailles. « Ils m’ont fait comprendre que je ne travaillerais plus pour eux », s’emporte Mohammed Berrouigat. Afin de justifier son anonymat, Ahmed explique qu’il ne veut pas risquer de perdre des contrats. « Les intérimaires ne parlent pas, car ils ont peur de se faire virer. Les chefs d’atelier disent qu’ils peuvent partir s’ils n’aiment pas travailler », rapporte-t-il. Le roulement d’intérimaires est tel que chacun est remplaçable. Même chose avec les agences, que les intérimaires et leurs représentants syndicaux accusent de profiter de la précarité et de la popularité de leur statut.

Selon les données publiées en octobre 2017 du Baromètre de l’organisation Prism’emploi – Professionnels du recrutement et de l’intérim –, la création du nombre d’emplois intérimaires aurait augmenté de 12 % en 2017.

[1] Le prénom a été modifié.

Travail Économie
Temps de lecture : 7 minutes
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