Ça bouge dans l’animation française

Kirikou et après… relate l’âge d’or, ces vingt dernières années, du cinéma d’animation hexagonal. Et s’interroge sur la suite, dans un univers où la concurrence s’intensifie.

Ingrid Merckx  • 8 novembre 2017 abonné·es
Ça bouge dans l’animation française
© Image : Sacrebleu Productions/Maybe mo/Collection Christophel/AFPnnTout en haut du monde, de Rémi Chayé (2016).

Folimage au même niveau que Pixar : Jacques-Rémy Girerd, directeur du studio d’animation installé à Valence (Drôme), raconte qu’un jour où il était invité au Japon pour une master class on l’avait installé à côté d’un patron du studio californien.

Le producteur et réalisateur de La Prophétie des grenouilles et de Tante Hilda ! traité d’égal à égal avec celui de Toy Story et de Cars ? C’est que la France est un grand pays d’animation, comme les États-Unis et le Japon. Elle a le savoir-faire, des auteurs, des équipes, des équipements et une politique « assidue et volontariste de l’État », rappellent Jean-Paul Commin, Valérie Ganne et Didier Brunner en introduction de Kirikou et après… Une enquête illustrée sur ce qu’ils nomment les « vingt glorieuses », soit un âge d’or de l’animation française qui se serait écoulé depuis la sortie du long métrage de Michel Ocelot en 1998.

Pour ces trois auteurs, respectivement producteur-distributeur, journaliste et producteur, il y a un « avant » et un « après » Kirikou. Et maintenant ? « Le secteur vit une nouvelle transformation. Quand certains producteurs français continuent de mettre les auteurs au premier plan, d’autres choisissent de conquérir le monde avec des méthodes à l’américaine. Les budgets s’envolent, les scénarios et la réalisation sont “sous contrôle”, les réalisateurs sont formés à Los Angeles aux méthodes des studios hollywoodiens. » Fin d’une exception culturelle ou exportation d’un style à la française ?

Jusqu’à Kirikou, la part de marché des films d’animation représentait 18 % des entrées en France, mais profitait aux trois quarts aux studios hollywoodiens. En 2000, les salles accueillaient un ou deux films français d’animation par an ; six depuis 2010. La concurrence est forte, et le nombre d’entrées n’est pas à la hauteur. Des splendeurs comme Phantom Boy (Alain Gagnol et Jean-Loup Felicioli) et Louise en hiver (Jean-François Laguionie) ne dépassent pas les 200 000 entrées. Le budget moyen d’un film d’animation en France tourne autour de 7 millions d’euros, contre 100 millions de dollars à Hollywood (86 millions d’euros). Si des producteurs se sont spécialisés (Les Armateurs, Prima Linea), c’est David contre Goliath. La série animée télévisée fait vivre le secteur et permet la fabrication de longs métrages, mais sans leur assurer une longue vie : sur la centaine qui sont sortis en salles depuis vingt ans, à peine dix ont été diffusés sur le petit écran en début de soirée.

Pour les trois auteurs, qui perdent un peu le fil de leur enquête dans un déroulé plus thématique que politique, le vrai problème est la visibilité : promotion et distribution. Reste des bonnes surprises : La Tortue rouge, de Michael Dudok de Wit, récit franco-japonais sans dialogue avec décors peints à la main, a séduit 400 000 spectateurs. Ma Vie de courgette, film franco-suisse en stop motion [1] de Claude Barras, 820 000. Et Ballerina (Éric Summer et Éric Warin), 1,8 million. Ce dernier, qui se déroule à l’Opéra Garnier, avait tout de même substitué au Lac des cygnes ou autre Casse-noisette une bande-son anglo-saxonne spéciale préados mondialisés.

Kirikou et après souligne combien l’animation s’est aventurée en terres adultes, avec des œuvres inspirées de la BD telles que Persepolis (Marjane Satrapi) ou Le Chat du rabbin (Joann Sfar). Difficile aussi d’oublier Valse avec Bachir, premier documentaire animé, où Ari Folman revient sur le massacre de Sabra et Chatila. Nettement moins connus, mais jalons lumineux du chemin parcouru depuis Kirikou : Renaissance (2006), thriller d’anticipation de Christian Volckman dans un Paris de 2054, et, plus récemment, Tout en haut du monde, de Rémi Chayé. Quittant son Saint-Pétersbourg fin XIXe, la jeune Sasha s’embarque à bord d’un brise-glace sur les traces de son grand-père, parti explorer le pôle Nord. Une aventure féministe, poétique et esthétique tout en aplats de couleurs et balayée par le vent du grand large.

[1] Animation en volume, où la scène est filmée en déplaçant légèrement des objets entre chaque prise de vue pour donner l’illusion du mouvement.

Kirikou et après… 20 ans de cinéma d’animation en France, Jean-Paul Commin, Valérie Ganne et Didier Brunner, Actes Sud Junior, Institut Lumière, 208 p., 36,90 euros.

Littérature
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