« Islamo-gauchisme » : « Un signe de délabrement du débat »

Pour le politologue Olivier Le Cour Grandmaison, le vocable « islamo-gauchiste » permet de nier l’islamophobie.

Olivier Le Cour Grandmaison  • 15 novembre 2017 abonné·es
« Islamo-gauchisme » : « Un signe de délabrement du débat »
© photo : CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

L’expression « islamo-gauchiste » n’est pas du tout nouvelle, et ce qu’elle désigne l’est moins encore. On trouve dès les années 1920-1930, du côté de ceux qui défendent l’empire français, des accusations à l’endroit des communistes et de l’Internationale communiste, à qui l’on reproche de soutenir les musulmans dans un combat anticolonialiste. Aujourd’hui, le syntagme « islamo-gauchisme » me semble faire partie de ce qu’on pourrait nommer, à la suite de Deleuze, un concept « dent creuse ». Concept qui louche du côté de la religion et de positions réputées extrêmes, et donc irresponsables, ce qui permet de marginaliser ce présumé « courant » et de rendre inaudibles les positions qu’il est supposé défendre.

Mais l’islamo-gauchisme n’existe que dans la tête de ceux qui prononcent le mot. Celui-ci est utilisé pour discréditer ceux qui combattent, entre autres, l’islamophobie, au motif qu’ils se battraient contre des moulins à vent et qu’ils seraient acritiques vis-à-vis de l’islam et de l’islamisme. Précisons que le terme « islamophobie » – qui n’est pas une invention des Frères musulmans – se trouve, de même qu’« islamophilie », dans des textes élaborés par des orientalistes spécialistes des colonies dès 1910-1920.

Ça n’est pas un hasard si l’on assiste actuellement à une prolifération des procès en islamo-gauchisme : cette rhétorique permet de ne pas répondre à la multiplication des accusations d’islamophobie. C’est à la fois un bouclier et un artifice qui permettent de nier l’existence de l’islamophobie. La plupart de ceux qui dénoncent l’islamo-gauchisme refusent la catégorie d’islamophobie et préfèrent celle de « racisme anti-musulmans ». Ce qui est contradictoire : l’islamophobie désigne non la peur d’un groupe ethnico-racial mais la peur de l’islam. Cette catégorie est employée par de très hauts responsables de l’ONU et par la Commission nationale consultative des droits de l’homme ; elle est aussi utilisée depuis très longtemps par des universitaires en Grande-Bretagne, aux États-Unis et désormais en France. On peut la définir et repérer ses manifestations dans la France d’aujourd’hui.

Il n’est pas nouveau que des courants politiques puissent faire alliance, dans certaines circonstances, avec des croyants. Ce qui est nouveau, c’est que cette alliance peut se faire, et même doit se faire, dans le cadre de la lutte contre l’islamophobie, avec des musulmans, notamment. Cela n’empêche pas la critique, évidemment de l’islamisme, mais aussi de ce que l’islam peut avoir de réactionnaire.

Autre effet pervers de cette pseudo-catégorie d’« islamo-gauchisme » : l’implicite de cette affaire (parfois explicite chez certains, comme Manuel Valls ou d’autres de sa constellation), c’est le rabattement de l’antisionisme sur l’antisémitisme. Ce qui est encore un symptôme de délabrement du débat. L’intérêt de la polémique ainsi conduite, c’est de clore le débat par la disqualification a priori des interlocuteurs.

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