Palestine : cent ans d’injustice

Le gouvernement israélien vient de célébrer la déclaration Balfour à sa façon en annonçant la construction en terres palestiniennes de quelque 2 600 logements.

Denis Sieffert  • 1 novembre 2017
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Palestine : cent ans d’injustice
© Photo : GALI TIBBON / AFP

En cet automne 1917, la bataille des Flandres fait rage, tandis qu’à Petrograd les bolcheviks se préparent à l’insurrection. Autant dire que la discrète missive adressée le 2 novembre par un certain Arthur James Balfour à un notable de la communauté juive britannique passe à peu près inaperçue. Et pourtant ! Si l’on regarde froidement la réalité, on peut avancer que cette lettre d’un ministre britannique des Affaires étrangères a plus de conséquences sur le monde actuel que la défunte révolution russe. Elle annonçait l’interminable conflit judéo-arabe devenu israélo-palestinien, et ouvrait une fracture béante entre le monde arabe et les puissances occidentales. Des conflits qui n’ont cessé de s’aggraver et qui ravagent toujours le Moyen-Orient.

On connaît les premiers mots de la missive : « Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national juif. » On se souvient moins de la suite : « … Étant bien entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux des collectivités non juives ». Phrase subtilement condescendante qui ne nommait même pas le peuple que l’on vouait à la spoliation, ces 700 000 Arabes palestiniens qui auraient éventuellement des droits religieux, mais manifestement aucun droit politique. Le début d’un long déni. Il faut dire que cette « déclaration Balfour » venait 18 mois après l’accord secret par lequel la France et la Grande-Bretagne se partageaient les dépouilles de l’Empire ottoman, oubliant la promesse d’indépendance faite aux Arabes.

Les puissances occidentales plaçaient pour longtemps leurs relations avec le monde arabe sous le signe de la trahison et du mépris. Pour décrire ce tour de passe-passe diplomatique, l’écrivain hongrois Arthur Koestler eut ce mot : « Une nation promet solennellement à une seconde le pays d’une troisième. » Tout était dit. Et la « troisième » n’en finit pas de résister. Cent ans plus tard, l’histoire court toujours. Elle aurait dû s’arrêter depuis longtemps. Même du point de vue sioniste, puisque ce mouvement colonial avait pour objectif la création d’un État juif qui existe depuis bientôt soixante-dix ans.

Né d’un partage totalement inéquitable, mais né aussi de la Shoah, Israël est aujourd’hui une puissance nucléaire soutenue par les États-Unis et par les Européens, et parfaitement intégrée à la mondialisation libérale. Et cependant, l’entreprise coloniale continue, toujours plus loin vers l’est. Le gouvernement israélien vient de célébrer la déclaration Balfour à sa façon en annonçant la construction en terres palestiniennes de quelque 2 600 logements. Et il vient tout juste de différer, pour des raisons d’opportunité internationale, son projet de « Grand Jérusalem », lequel prévoit de rogner encore 10 % de la Cisjordanie, et de porter les limites de la ville jusqu’aux rives du Jourdain. Ce qui scinderait le territoire palestinien en deux. Une annexion à peine déguisée dont rêvent les colons qui sont aujourd’hui au pouvoir en Israël.

Plus besoin de « déclaration Balfour », un silence complice suffit. Cette connivence a tout de même besoin pour se justifier d’un enfumage idéologique qui repose sur l’équation frauduleuse « sionisme égale Israël ». Le mouvement colonial est devenu un État. En sorte que le militant anticolonial n’a plus voix au chapitre. S’il combat pour la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967, il est soit antisémite, soit fossoyeur d’Israël. Il lui est interdit de maintenir son combat dans le champ politique. Mais la déclaration Balfour a au moins un « avantage » : elle place la responsabilité historique au niveau des puissances coloniales. Il ne s’agit plus ici d’Israël et de son gouvernement d’extrême droite, dont il n’y a rien à attendre, ni même de la gauche israélienne, mais de l’Europe et des États-Unis. Pour l’heure, les choses semblent bloquées là aussi. Emmanuel Macron appelle Netanyahou « Mon cher Bibi » et juge que l’antisionisme est une « forme réinventée » de l’antisémitisme, verrouillant ainsi toute possibilité de combat politique. Et Theresa May dîne avec le Premier ministre israélien pour marquer « avec fierté » la date du 2 novembre. Apparemment, rien n’a donc changé depuis Balfour. Les Palestiniens sont toujours en butte au même mépris, qui est aussi un mépris du droit par des États qui ne cessent de l’invoquer.

Mais ce conflit emblématique n’est pas sans fin. Un siècle après la déclaration Balfour, le double langage atteint ses limites. Il sera bientôt difficile à Emmanuel Macron et à Theresa May d’ânonner la fameuse résolution de l’ONU pour une « solution à deux États ». À force de colonisation, l’État palestinien va cesser d’être virtuel pour devenir tout simplement impossible. Le monde sera alors face à une nouvelle Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Et il ne faudra pas s’étonner des ravages que cette situation produira dans le monde arabe et jusque dans nos sociétés.

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