Histoire(s) de France sérieusement loufoques

Signée par des chercheurs et des bédéistes, une série à cent lieues du « roman national ».

Vincent Richard  • 20 décembre 2017 abonné·es
Histoire(s) de France sérieusement loufoques
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L’histoire en BD, ce n’est pas forcément simpliste. La série « L’histoire dessinée de la France » entend bien le prouver. Son principe : présenter en vingt albums « un nouveau visage de notre histoire, en associant les meilleurs historiens français aux plus talentueux auteurs de bande dessinée ». Loin de toute « tentative de réhabilitation du “roman national” », des « fantasmes passéistes » et des « récupérations politiques ». Loin aussi des clichés brandis par les tenants du « Nos ancêtres les Gaulois » et des « effets positifs de la colonisation », ou par les adeptes des « grands événements » et des « grands hommes », qui substituent souvent la mythologie aux faits et à l’analyse.

Tel est bien l’esprit du premier volume (paru en octobre), La Balade nationale, signé par l’historien Sylvain Venayre (également directeur de la collection) et le dessinateur Étienne Davodeau. Le début du récit ressemble à une blague : Jeanne d’Arc, Molière, le général Alexandre Dumas, Jules Michelet et Marie Curie, transportant Philippe Pétain dans son cercueil à bord d’un van, font un tour de France des lieux emblématiques (Carnac, la cathédrale de Reims, la roche de Solutré, Lascaux, Gergovie…). Mais, sous le vernis anachronique, voire loufoque, l’album met en place des discussions historiographiques entre les personnages qui s’appuient sur les acquis les plus récents de la recherche.

Au terme du périple, le lecteur a compris l’essentiel : que l’histoire de France n’a pas vraiment de début, et que les « origines » sont toujours « constituées du récit que nous en faisons », comme le note Jeanne d’Arc à l’occasion d’une étape autour d’un feu de camp au bord du Rhin.

Au cours du voyage, Venayre et Davodeau remettent aussi en cause nombre d’idées reçues. Exemple : la France « fille aînée de l’Église ». Si la mythologie nationale fait remonter cette notion au baptême de Clovis, premier roi chrétien, l’album montre, par la bouche de Michelet, qu’elle n’existe en réalité que depuis 1896, lors du quatorzième centenaire de cet événement, instrumentalisé à des fins antirépublicaines pour « faire de la France non pas la nation de 1789, mais un vieux peuple chrétien ».

Les tomes suivants sont consacrés chacun à une période. Le numéro 2, paru en novembre, L’Enquête gauloise, est signé par l’archéologue Jean-Louis Brunaux et Nicoby, qui veulent « en finir avec les caricatures » sur nos ancêtres présumés, à travers une discussion entre le druide gaulois Diviciac et Cicéron. Les auteurs (qui se mettent eux-mêmes en scène) montrent par exemple la complexité des conceptions religieuses des Gaulois et la richesse de leur production artistique, trop peu reconnue. Ils insistent aussi sur la place centrale des femmes dans la société et l’économie gauloises. Elles sont souvent en charge de l’exploitation familiale et parfois du rôle de juge.

Le médium choisi rend la lecture drôle et captivante et sert un propos historique qui, s’il ne peut être exhaustif, a l’art de cibler les problèmes. La bande dessinée est complétée par des textes illustrés, qui permettent d’examiner avec plus de précision certaines questions, par exemple la démarche même du projet, qui est de « donner à voir ce que l’image fait au savoir historique ».

Pour lire l’intégralité de la série, il faudra un peu de patience. Les albums sur la Gaule romaine et les « barbares » paraîtront au printemps 2018 et ceux consacrés à Charlemagne et à l’Europe féodale à l’automne suivant. Autant d’occasions de découvrir des aspects méconnus de notre histoire.

La Balade nationale. Les origines, Sylvain Venayre et Étienne Davodeau, L’Enquête gauloise. De Massilia à Jules César, Jean-Louis Brunaux et Nicoby, La Revue dessinée/La Découverte, 22 euros.

Littérature
Temps de lecture : 3 minutes