Un cadeau aux lobbys et aux évangéliques

La décision du président états-unien est d’abord motivée par des facteurs de politique intérieure, au mépris de toute considération géopolitique.

Alexis Buisson  • 13 décembre 2017 abonné·es
Un cadeau aux lobbys et aux évangéliques
© photo : SAUL LOEB / AFP

Chaque jour apporte son lot de déclarations troublantes à la Maison Blanche. Le mercredi 5 décembre, flanqué de son vice-président, Mike Pence, comme pour marquer la solennité du moment, Donald Trump a reconnu officiellement Jérusalem comme la capitale d’Israël et indiqué son intention de transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à la ville sainte. « Après plus de deux décennies d’exemptions, nous ne sommes plus proches d’un accord de paix durable entre Israël et les Palestiniens. Ce serait une folie d’assumer que répéter l’exacte même formule produirait un résultat différent ou meilleur », a-t-il déclaré.

La question du statut de Jérusalem est si épineuse dans la vie politique américaine que même les prédécesseurs républicains de Donald Trump ont préféré éviter de s’y frotter. En 1995, le président démocrate Bill Clinton a refusé de ratifier une loi adoptée par une très large majorité de démocrates et de républicains au Sénat et à la Chambre des Représentants, reconnaissant Jérusalem comme la capitale d’Israël et autorisant le transfert de l’ambassade. Motif invoqué à l’époque par le chef de l’État : cette loi –« pourrait entraver le processus de paix, et je ne le laisserai pas faire ».

Ce qu’en dit la presse Comme de nombreuses décisions de Donald Trump, ses déclarations sur Jérusalem ont divisé les médias américains. Plusieurs tribunes critiques ont été publiées dans le New York Times. Un responsable d’association palestinienne, notamment, a parlé de « grosse erreur », tandis que d’autres plumes, dans The Washington Post, dénoncent « une décision étonnante pour quelqu’un qui se dit être un bon négociateur » ou s’inquiètent, comme dans The Atlantic, d’une « provocation mortelle ». Sans surprise, la presse conservatrice se montre plus clémente envers le Président. À l’image du Washington Examiner, qui soutient dans une tribune que Trump a « donné une leçon de géographie au monde » et assure que « la levée de boucliers contre lui est opportuniste ». The Forward, l’une des principales publications juives aux États-Unis, parle pour sa part de décision « incompréhensible » qui permet à Trump comme à Netanyahou, deux leaders en difficulté chez eux, de « mobiliser leur base ».
Bill Clinton n’a pas pour autant aboli la loi. Le texte prévoyait en effet la possibilité de reporter son application de six mois autant de fois que le souhaite le locataire de la Maison Blanche. Autrement dit, chaque semestre, il fallait décider de la faire entrer en vigueur ou non. Depuis vingt-deux ans, les successeurs de Bill Clinton, à savoir George W. Bush et Barack Obama, ont pris cette deuxième option afin d’éviter d’embraser la situation sur le terrain. Même si la reconnaissance de Jérusalem était une promesse de campagne, Donald Trump aussi a hésité, reportant la décision une première fois. Jusqu’à sa déclaration du 5 décembre.

Qu’est-ce qui a changé entre-temps ? Les explications sont multiples et tiennent surtout à la politique intérieure. Certains y ont vu une tentative de diversion – technique très prisée par Donald Trump quand il est en difficulté. En effet, celui-ci est fragilisé par des sondages en berne (il recueille 30 % d’opinions favorables dans un récent sondage de Pew, le point le plus bas de sa présidence) et, surtout, par la progression de l’enquête sur l’ingérence russe dans l’élection de 2016. Quatre jours avant la déclaration du Président sur Jérusalem, on apprenait qu’un de ses anciens conseillers, le général Michael Flynn, avait décidé de plaider coupable dans le cadre de l’enquête menée par le FBI et de coopérer avec les enquêteurs. C’est la première fois qu’un membre du cercle rapproché du Président se retrouve dans une telle situation.

Dans ce contexte défavorable, tout président aurait à cœur de reprendre la main et, pour cela, de faire des cadeaux à ses soutiens. Pour Trump, ces derniers s’appellent notamment Sheldon Adelson et Miriam Ochshorn. En 2016, ces époux discrets, qui ont fait fortune dans les casinos, ont donné 83 millions de dollars aux républicains, soit plus que n’importe quel autre donateur du parti. Initialement opposés à Trump, ils l’ont finalement soutenu. Pour ce couple influent, le dossier Jérusalem était prioritaire, Miriam Ochshorn étant née en Palestine sous mandat britannique. Le New York Times a rapporté qu’ils ont été invités à un dîner privé à la Maison Blanche début octobre, où ils ont encouragé le Président à installer l’ambassade des États-Unis dans la ville sainte. Ils semblent avoir été entendus…

D’autres pointent l’influence des lobbys pro-Israël à Washington. Le site d’information Quartz a noté récemment que leurs contributions politiques avaient augmenté ces dernières années, dans l’espoir d’influencer républicains et démocrates. Au total, ils ont dépensé 20 millions de dollars en 2016. Un record sans doute généré par la frustration liée à la politique prudente de Barack Obama sur le Proche-Orient pendant huit ans. Le groupe le plus puissant, l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), a déboursé 3,6 millions de dollars en 2016, sa plus grosse enveloppe depuis sa création. Les sommes faramineuses débloquées par ces lobbys ont tendance à pousser les candidats à se montrer davantage « pro-Israéliens » qu’ils ne le sont vraiment, note Quartz. De tous les aspirants présidents qui se sont exprimés devant l’Aipac pendant la campagne (les républicains Ted Cruz, John Kasich et Donald Trump ; les démocrates Bernie Sanders et Hillary Clinton), seul Bernie Sanders a osé remettre en question les efforts de ses hôtes en notant que « la souffrance des Palestiniens ne pouvait être ignorée ».

Les juifs américains représentent à peine 3 % de la population et sont divisés sur le statut de Jérusalem ; on ne peut donc pas soupçonner Trump de leur faire du pied avec sa décision. En revanche, un autre groupe religieux se frotte les mains : les évangéliques, qui représentent un quart de la population américaine. Les évangéliques blancs ont voté massivement pour Donald Trump en 2016 (81 % selon les sondages à la sortie des urnes). Les plus conservateurs d’entre eux réclament la reconnaissance de Jérusalem comme capitale israélienne depuis longtemps, s’appuyant sur les écrits de L’Ancien Testament. Les lobbys évangéliques, comme The International Christian Embassy Jerusalem (Icej), ont été très actifs depuis un an pour pousser Donald Trump dans cette direction.

Dans les jours précédant sa décision controversée, plusieurs groupes se sont mobilisés. C’est le cas de My Faith Votes, présidé par le pasteur évangélique et ancien candidat à la primaire républicaine Mike Huckabee. Il a lancé une campagne par courriels auprès de 25 millions d’évangéliques pour les exhorter à contacter la Maison Blanche et faire entendre leur position. Un pasteur impliqué dans le groupe des leaders évangéliques qui conseillent la Maison Blanche a reconnu que « la décision [de Donald Trump] n’aurait pas eu lieu » sans l’action évangélique. Lobbyistes, évangéliques conservateurs, riches donateurs : une fois de plus, Donald Trump n’aura pas pris sa décision en fonction de l’intérêt général.

Monde
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