Paul Otchakovsky-Laurens : L’indépendance comme exigence

Paul Otchakovsky-Laurens, mort à 73 ans le 2 janvier, a façonné une maison d’édition respectée, rigoureuse et foisonnante.

Christophe Kantcheff  • 10 janvier 2018 abonné·es
Paul Otchakovsky-Laurens : L’indépendance comme exigence
© Éric Feferberg/AFP

Symboliquement, il occupait le devant de la scène de l’édition artisanale et exigeante, celle qui se fait à l’écoute d’une voix intérieure et subjective que soulève, ou pas, le texte d’un manuscrit. À cette place éminente et nécessaire, tant les vents mauvais de la finance et de l’uniformisation soufflent sur la littérature, Paul Otchakovsky-Laurens avait succédé à Jérôme Lindon, disparu il y a plus de quinze ans. Un accident de voiture l’en a brutalement arraché, le 2 janvier. Paul Otchakovsky-Laurens, aux allures d’éternel jeune homme, avait 73 ans et encore bien des livres à publier, des découvertes à partager.

Il n’est pas exagéré de dire qu’il laisse un grand vide, dont la vive émotion qui s’est exprimée à l’annonce de sa mort soudaine est le signe. Imposant le respect même à ceux qui n’en connaissent que les titres les plus visibles, sa maison d’édition ne ressemble à aucune autre, mêlant poésie, textes expérimentaux, auteurs désormais patrimoniaux, romans à potentiel commercial, revues et essais, en particulier sur la littérature et l’art. Il l’avait fondée en 1983, choisissant pour nom ses propres initiales, lui qui disait « parler à travers les autres ».

Après être passé chez Christian Bourgois puis Flammarion, Paul Otchakovsky-Laurens a créé chez Hachette sa collection, où il a publié en 1978 La Vie mode d’emploi, l’un des maîtres livres de Georges Perec. Celui-ci fut la figure emblématique des éditions P.O.L. (comme Beckett le fut pour Minuit). En témoigne leur logo, le Ko (ou « éternité ») du jeu de go, cité originellement par Perec.

Le catalogue de P.O.L. est un trésor. Il contient une cohorte de noms d’écrivains échappant plus ou moins aux critiques mais contribuant à faire la littérature de ces dernières décennies. C’est Marguerite Duras, bien sûr, qui donna à Paul Otchakovsky–Laurens La Douleur [1], avec le retentissement que l’on sait, mais aussi Valère Novarina, Bernard Noël, Leslie Kaplan, Claude Ollier, Christian Prigent, Christophe Tarkos, Claude Lucas, Hubert Lucot, Élisabeth Filhol, Fred Léal, Patrice Robin, Marianne Alfant, Dominique Meens, Célia Houdart, Daniel Oster, Camille Laurens (exclue au terme d’une polémique l’opposant à Marie Darrieussecq), Nathalie Quintane, Emmanuel Hocquard, Mathieu Lindon, Jean-Charles Masséra, ou encore Olivier Cadiot et Pierre Alféri, qui furent aussi les maîtres d’œuvre des deux numéros d’une revue fugitive mais marquante, la Revue de littérature générale.

P.O.L. réédita en 1988 Tricks, de Renaud Camus, forte chronique du mal-être homosexuel quand l’homosexualité était un délit, mais refusa ses manuscrits problématiques et cessa de l’éditer quand celui-ci formula ses thèses sur le « grand remplacement ». Passionné de cinéma, auquel il s’adonnait depuis quelques années, réalisant deux documentaires à dimension autobiographique, Sablé-sur-Sarthe, Sarthe et, tout récemment, Éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens avait aussi accueilli Serge Daney et sa revue Trafic.

Pour lui, « la vérité [était] une forme », et c’est avec cette conviction profonde que, lecteur disponible, accueillant et « déraisonnable », il a accompli son œuvre. Engagé contre toute forme de censure, jaloux de sa liberté de choix, l’éditeur dut cependant passer sous la domination actionnariale de Gallimard en 2003. Pour autant, Paul Otchakovsky-Laurens a su ne pas subir les contraintes, notamment grâce à ses succès de ventes (Darrieussecq, Carrère, Fargues, Winckler…), et garder son cap. L’indépendance est avant tout une bataille que, pour sa part, il a gagnée.

[1] Emmanuel Finkiel vient de l’adapter à l’écran. Voir Politis la semaine prochaine.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes