Une loi pour reconnaître le « burn-out » ?

La France insoumise profite de sa « niche parlementaire » pour tenter de faire avancer le débat sur le syndrome d’épuisement professionnel, en manque cruel de reconnaissance.

Erwan Manac'h  • 31 janvier 2018
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Une loi pour reconnaître le « burn-out » ?
© Photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

C’est une proposition de loi « pour convaincre » et tenter de faire éclore un véritable débat sur le « burn-out» en France. Le groupe France insoumise à l’Assemblée profite, ce jeudi 1er février, de sa niche parlementaire – carte blanche accordée à un groupe parlementaire pendant une journée pour défendre des propositions de loi [1] – pour tenter de faire inscrire les troubles psychiques liés au travail dans le tableau des maladies professionnelles.

Le « burn-out », ou syndrome d’épuisement lié au travail, est bien identifié par les médecins. On en connaît les causes (surmenage, travail empêché, harcèlement moral). Les symptômes qu’il provoque sont eux aussi bien identifiés (dépressions, anxiété, stress post-traumatique). Il reste pourtant particulièrement complexe à faire reconnaître comme maladie professionnelle, quarante ans après les premières alertes.

Parcours du combattant

Seuls les cas de burn-out les plus extrêmes ont aujourd’hui accès à cette reconnaissance. Les victimes doivent en effet passer devant un comité spécial (le CRRMP) et prouver une incapacité d’au moins 25 %. L’Assurance maladie constate, certes, une multiplication par 7 en cinq ans du nombre de cas reconnus, mais les chiffres semblent dérisoires : 596 en 2016 à quoi il faut ajouter 10 000 « accidents du travail » en lien avec des troubles psychiques, qui suppose qu’un événement précis soit reconnu comme le déclencheur du burn-out.

Or, on compte 1,2 million de salariés dépressifs, « dont 10 % à 20 % attribuables au travail », estime Isabelle Niedhammer, directrice de recherche à l’Inserm, interrogée par la commission parlementaire conduite par François Ruffin en préparation de sa proposition de loi. Le psychiatre Patrick Légeron estime quant à lui le nombre de burn-out autour de 400 000 par an, tandis qu’une étude du cabinet Technologia estimait, en 2014, à 3 millions, soit 12 % de la population active, le nombre de personnes exposées à un risque élevé de burn-out.

Bref, l’écart entre les 596 cas reconnus et la réalité est abyssal, ce qui freine sa prise en compte par les pouvoirs publics.

L’enjeu est aussi de faire payer les entreprises, pour espérer une évolution de leurs pratiques managériales. Car les maladies professionnelles sont indemnisées par la branche « risque professionnel » de l’Assurance maladie, financée par une cotisation des employeurs. Cotisation calculée en fonction du nombre de sinistres déplorés au sein de chaque entreprise.

Faire entrer le « burn-out » dans la catégorie des maladies professionnelles contribuerait donc à en faire assumer le coût par les entreprises responsables. « Le seul moyen de faire comprendre à un chef d’entreprise une situation de mal-être, c’est de le faire entrer dans le tableau comptable », s’époumone François Ruffin, ce mercredi dans la salle des conférences de presse de l’Assemblée nationale.

Reconnaissance des troubles psychiques

Benoît Hamon, lorsqu’il était encore député PS, avait déposé, sans succès, une proposition de loi comparable début 2017. Il suivait en revanche une méthode législative différente, en conservant la procédure de reconnaissance spéciale, actuellement à l’œuvre, tout en abaissant le seuil d’incapacité permanente de 25 % à 10 %, afin de faciliter les demandes.

La France insoumise a choisi une stratégie différente. Elle ne s’attaque pas directement au burn-out, « qui n’est d’ailleurs pas reconnu comme une maladie », selon François Ruffin, mais à ses conséquences. En faisant inscrire une liste de troubles psychiques liés au travail au tableau des maladies professionnelles.

Bémol de taille, cette démarche nécessiterait l’accord des partenaires sociaux, dont le Medef qu’on sait farouchement opposé. Elle serait donc « très difficile à faire aboutir », estimait le 24 janvier le groupe socialiste en commission des affaires sociales.

Le groupe FI ne se berce donc d’aucune illusion sur l’issue de sa proposition de loi, qu’il veut avant tout « symbolique ». Et espère faire éclore une véritable débat national sur « la silicose du siècle ».

Il a d’ailleurs invité à témoigner, ce mercredi à l’Assemblée, Nicolas Sansonetti, dont le frère, agent de maîtrise à Lidl, s’est donné la mort en mai 2015 sur son lieu de travail. Consterné par l’absence de réaction de la direction de Lidl, suite au décès de son frère, il se dit solidaire de l’initiative _« pour toutes les familles qui souffrent » :

Pour nous c’est fini. Notre vie est brisée. Mais il y a des choses à faire pour les autres familles. Il faut une prise de conscience au niveau national.

LREM vante les vertus de ses ordonnances sur le travail

La majorité En marche devrait sauf énorme surprise rejeter le texte. LREM se dit néanmoins préoccupé par « ce véritable enjeu de société », mais gage que ses ordonnances sur le Code du travail amélioreront les choses.

Grâce à la fusion des instances représentatives du personnel – et la disparition des comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT) dans les entreprises – patrons et salariés auront « une vision d’ensemble des conditions de travail », assurait, droit dans ses bottes, le député LREM Guillaume Chiche, le 24 janvier devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée.

Le groupe LR fustige de son côté la « réponse militante » du groupe France insoumise et objecte qu’il est « hélas difficile d’objectiver le lien entre maladie psychique et travail ».

L’examen du texte (consultable ici) débute à 9 h 30, ce 1er février. Il s’annonce expéditif.

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1 – Figure également à l’agenda de cette niche parlementaire une résolution sur le Ceta et des propositions sur le récépissé pour les contrôles de police, le droit à l’accès à l’eau des collectivités territoriales, et le suicide assisté.

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