Didier Lockwood : « Le violon, c’était son viatique »

Hommage de la chanteuse de jazz Laurence Allison au violoniste Didier Lockwood, mort brutalement le 18 février, à 62 ans.

Laurence Allison  • 20 février 2018
Partager :
Didier Lockwood : « Le violon, c’était son viatique »
© photo : PAUL CHARBIT / CROWDSPARK

Didier Lockwood était un fou furieux : boulimique de projets, il adorait la vie. Son dernier album, Open Doors, sorti en novembre, contenait toujours des propositions très originales, pleines d’idées et d’histoire. Le violon, c’était son viatique, un véritable passeport pour quantité de territoires. Il répétait que cet instrument était présent dans toutes les musiques : irlandaises, indiennes, jazz, rock et jazz rock ! Il a tout joué, il est allé partout où il pouvait expérimenter des choses. Il a été un des premiers à enregistrer plusieurs pistes sur scène en direct : il jouait la basse en s’enregistrant, puis passait l’enregistrement et jouait dessus, etc., jusqu’à obtenir un tissu très dense. Il est mort jeune mais il avait déjà derrière lui une très longue carrière, et très riche. Il avait commencé à jouer très tôt.

J’ai enseigné dix ans dans son école, le Centre des musiques Didier Lockwood (CMDL) à Dammarie-Les-Lys (Seine-et-Marne), de 2003 à 2013. Elle n’en était pas à ses tout débuts. Son projet prenait de l’ampleur, il y avait de très bons professeurs. J’ai remplacé quelqu’un pour un cours de chant. Et puis je suis restée.

Par la suite, Didier a produit un de mes disques, Secrets. On l’a enregistré chez lui dans son studio à quelques kilomètres de l’école avec le piano de Michel Petrucciani. Ça n’était pas le meilleur des instruments, mais il avait une âme ! Didier était très enthousiaste, il venait tout le temps. Il mixait beaucoup. Tous les jours, il proposait un nouveau mix ! Il avait un tempérament très vivant, toujours quelque chose sur le gaz. Un jour, il a dit : « Faut que je fasse attention, parce que je ne fais pas de sport… » Il s’est mis au vélo. Il s’est acheté une tenue complète et il partait pédaler. Parfois, il revenait au studio et il enregistrait quelque chose dans la foulée, au violon en tenue de vélo…

C’était un hyperactif. Il était parfois difficile de le suivre. Pour cet album, il a été très précieux. C’était quelqu’un sur qui on pouvait compter. Il avait un objectif et n’en déviait pas. Jouer avec lui, c’était toujours un bonheur, très convivial. C’était une grande star : beaucoup de gens qui ne connaissent rien au jazz connaissent Didier Lockwood. Mais il créait toujours autour de lui un cadre très familial, bon enfant. Il s’intéressait beaucoup aux autres. Alors qu’il était toujours occupé, il avait une grande capacité à se montrer disponible pour quelqu’un, pour une rencontre. Il réunissait autour de lui une énorme famille de musiciens. Il était spécialiste des soirées concerts à L’Olympia, au Trianon avec beaucoup d’invités, des amis, des musiciens de son label. Il mettait de nombreux musiciens en lumière.

Dans son jeu, il donnait énormément. C’était un musicien exceptionnel, un grand virtuose. Certains le trouvaient trop extraverti, trop démonstratif. Il jouait comme il était, flamboyant, très généreux. Il a beaucoup pratiqué le style Stéphane Grappelli, dont il a été le disciple. Qui n’a pas été influencé par Stéphane Grappelli ? Comme Grappelli, Didier avait une mise en place rythmique diabolique. Mais il avait développé son style à lui. Avec son propre toucher.

C’est vrai qu’il enseignait à ses élèves, ce qu’il appelait la technique du perroquet : « Je joue une phrase, vous la reproduisez et on recommence. » Je suis d’accord avec lui : apprendre, c’est d’abord imiter, puis se fabriquer un son en imitant. Dans son école, il voulait que ses élèves soient heureux. Il n’y avait pas de profs tortionnaires, contrairement à tellement de lieux d’enseignement de la musique en France. Il voulait une école d’excellence, mais avec une dimension très humaine. De nombreux élèves habitaient sur place, ils baignaient dans la musique, les profs étaient très investis, très respectueux des élèves, à leur service. Cet esprit perdure à en croire mes camarades Benoît Sourisse (piano) et André Charlier (batterie) qui y enseignent.

Le soir de sa mort, un morceau de Secrets me revient en tête : « Una palabra », sur lequel il a joué. Je l’ai tellement écouté, je connais par cœur chaque note de son solo… (C’est un morceau qui parle de la vie après la mort.)

À lire aussi >> « Jazz et bossa, des noces renouvelées »

Musique
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don