Benjamin Stora : Un PS à bout de souffle

Au travers de son histoire personnelle, l’historien Benjamin Stora analyse le déclin socialiste à partir des années 1980.

Denis Sieffert  • 14 mars 2018 abonné·es
Benjamin Stora : Un PS à bout de souffle
Le bureau politique du Parti socialiste autour de son premier secrétaire, Michel Rocard, le 24 octobre 1993.
© ERIC FEFERBERG / AFP

Il y a un côté « Persan » de Montesquieu dans le livre que Benjamin Stora a consacré à l’itinéraire qui l’a conduit de l’Organisation communiste internationaliste (OCI) au Parti socialiste. L’historien avait déjà relaté ses « années trotskistes » dans un ouvrage précédent, La Dernière Génération d’Octobre. C’est sa découverte de l’univers socialiste qu’il relate ici. Transfuge au mitan des années 1980 du trotskisme au PS, Stora a vécu les illusions du nouveau converti avant d’assister, impuissant et parfois – il en fait lui-même l’aveu – naïf, au déclin politique et moral du parti de François Mitterrand.

Spécialiste de l’Algérie et de l’histoire coloniale, Benjamin Stora a naturellement prêté une attention particulière à ce qui se jouait au PS autour de la question de l’immigration. Il perçoit alors l’urgente nécessité d’une redéfinition de « l’identité nationale » et du modèle républicain. Las, au PS, l’immigration est toujours considérée d’un strict point de vue économique ou à travers le prisme de l’antiracisme, incarné par SOS Racisme. Très vite, il a plaidé pour une autre approche dépassant le seul antiracisme et posant les questions de l’égalité des droits et de la démocratie sociale et politique. En vain. SOS, qui incarnait une forme d’hégémonisme, passionnait davantage les hautes sphères du parti. Le mouvement des « potes », ultra-médiatisé, allait surtout servir de tremplin à de jeunes pousses, tels Julien Dray et Harlem Désir. De cet épisode, Stora tire cette conclusion amère : la social-démocratie des années 1980 n’a « jamais vraiment surmonté la décomposition née de la guerre d’Algérie ».

L’historien assiste au déplacement sociologique du parti, « capable de s’adapter aux exigences de la bourgeoisie française ». Il découvre les appâts matériels qui transforment rapidement les ex-révolutionnaires en politiciens professionnels. Il se souvient de sa stupeur lorsque Jean-Christophe Cambadélis, transfuge lui aussi de l’OCI, et avec lequel il s’était promis de constituer un courant de gauche au sein du PS, l’invite à renoncer à cet objectif pour de nouvelles ambitions, plus personnelles, dans l’appareil du parti : « Si je deviens ministre […]_, tu deviendras mon chef de cabinet. »_

Il faut aussi lire la liste des privilèges attachés au « métier » d’élu que Stora énumère sans pitié. Où l’on voit la rudesse des luttes au sein de l’appareil, travestie parfois en désaccords idéologiques. La suite de son livre est plus personnelle. La maladie, terrible et fatale, de sa fille, son éloignement de la politique et l’ingratitude de certains de ses anciens camarades, absents quand leur présence eût été tellement précieuse. Après le « désenchantement », il s’est remis à écrire l’histoire, mais à bonne distance d’un parti où « ne subsistent que des ambitions égocentriques et les réussites de carrière ».

68, et après. Les héritages égarés, Benjamin Stora, Stock, 170 p., 17,50 euros.

Idées
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