Le Paris féministe

Le premier opus d’une nouvelle collection, « La guide de voyage », rend hommage aux femmes connues et inconnues qui ont fait la capitale, ses rues, ses combats et ses œuvres.

Ingrid Merckx  • 7 mars 2018 abonné·es
Le Paris féministe
Le théâtre Sarah-Bernhardt, une étape de « La guide de voyage ».
© Robert Siegler/Ina/AFP

Elle est rouge, « cette » guide. Avec la moitié d’un visage de femme pixélisé. Elle n’annonce pas la couleur, mais le sommaire laisse peu de doutes. Dans le ventre de Paris : « Des femmes révolutionnaires aux statues multicolore de Niki de Saint Phalle ». Entre le Louvre et la Concorde : « Sur les traces des artistes femmes » Vers Belleville : « D’Olympe de Gouges aux femmes célèbres du Père-Lachaise »… La visite de la capitale se conjugue au féminin en hommage à toutes celles « connues, inconnues ou moins connues à qui les livres d’histoire et les guides de voyage n’ont pas donné la place qu’elles méritent. » Des combattantes, mais des lavandières ; des artistes, mais des domestiques…

Pas de statues de femmes sur la façade de l’Hôtel de Ville, à part deux allégories : la Science et l’Art. Les femmes sont côté Seine : George Sand, Mme de Staël, Mme de Sévigné… Au BHV, on apprend que l’enseigne employait majoritairement à la fin du XIXe des « demoiselles de magasin » qui travaillaient de 8 heures à 19 heures – et sans congés payés. Sarah Bernhardt au Théâtre de la Ville, Rosa Bonheur au musée d’Orsay, Mistinguett au Moulin Rouge : chaque étape est l’occasion d’une rencontre avec une personnalité dont la biographie est rédigée en bleu ou en rouge. En noir, le parcours proposé. En couleur aussi, les inserts historiques ou les commentaires : « Qui n’a pas entendu un jour, voire appris à l’école, qu’au paléolithique les hommes allaient à la chasse pendant que les femmes s’occupaient de la cueillette ? […] En réalité, aucune preuve archéologique n’exclut la participation des femmes à l’ensemble des tâches. »

Les femmes sont peu visibles dans les musées, explique Camille Morineau, conservatrice du patrimoine ; elles sont « invisibilisées » dans les récits, analyse Ophélie Latil, cofondatrice du collectif Georgette Sand. Cette collection leur rend enfin justice. Plus à leur histoire, d’ailleurs, qu’à leur image, car elle en est avare. L’ouvrage mise à peine sur des silhouettes, tasse les textes dans de petites pages doctes mais arides comme un plan de métro. Qu’importe : cet opus pionnier sur Paris fourmille d’informations et de détails choisis avec soin, et assumant un parti pris qui ne raye pas les hommes. Au musée Camille-Claudel, « ne manquez pas la salle qui vous montre quels sont les débats autour du nu féminin, avec l’exemple de la sculpture de Paul Richer, Tres In Una[…] _: au centre, l’idéal antique aux formes simples et équilibrées ; à gauche, l’idéal de la Renaissance au corps plus mince ; à droite, l’idéal des temps modernes au corps plus volumineux. »_ Côté pratique, la guide recense des adresses comme Ra+Re, concept store féminin ; Violette and Co, « la librairie féministe incontournable », ou encore La Dame de Pic, le restaurant d’Anne-Sophie Pic, seule femme chef qui arborait dès 2007 trois étoiles au Michelin. Et toc.

Paris, Charlotte Soulary, La guide de voyage, 122 p., 15 euros.

Idées
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