Mouvement social : Une presse hostile

Le gouvernement peut compter sur le soutien actif des médias dominants, favorables à la libéralisation du rail, et à la fin des « privilèges » et des statuts prétendument « archaïques ».

Michel Soudais  • 28 mars 2018 abonné·es
Mouvement social : Une presse hostile
© photo : PASCAL PAVANI / AFP

Ils avaient annoncé un « jeudi noir ». Mais le 22 mars, à l’heure du bilan des grèves et manifestations du jour dans les fonctions publiques et à la SNCF, ils affichent un soulagement… combatif. Sur BFMTV, Thierry Arnaud, chef du service politique, fait état d’une « mobilisation médiocre ». « C’était la CGT essentiellement, tous les syndicats n’étaient pas présents », renchérit avec aplomb Ruth Elkrief alors même que sept des neuf syndicats de la fonction publique et les quatre organisations représentatives de la SNCF étaient dans la rue. Le sentiment est manifestement le même à TF1, où le « 20 heures » ne retient qu’un chiffre, celui de la police : 320 000 manifestants dans toute la France pour « une mobilisation conforme aux prévisions du gouvernement », assure Christophe Jakubyszyn. Rien d’inquiétant donc pour un Emmanuel Macron qui, « quoi qu’il arrive, n’a pas l’intention de céder aux revendications des cheminots ».

« Ça ne prend pas », se réjouit en une Le Parisien sur la photo d’un cortège de manifestants clairsemé. Le quotidien populaire de Bernard Arnault a eu « l’impression de revivre les vaines tentatives de mobilisations de la rentrée dernière contre les ordonnances ». « Divisés, les syndicats peinent à mobiliser », titre également Le Figaro. Yves Thréard y cible « les apparatchiks syndicaux », qui veulent « survivre dans un monde qui n’est plus le leur », et enjoint le gouvernement à ne plier « en aucun cas ». Avant de conclure, dans une tirade revancharde : « Finie la défense des droits acquis, place au devoir d’inventaire de tous les avantages indus. »

La rengaine de la démobilisation sociale est un « marronnier » dans la presse dominante. Elle la ressert à chaque mobilisation sociale avec, cette fois, un argument supplémentaire : l’intransigeance, pardon la détermination, du chef de l’État. « Toutes les grandes mobilisations depuis qu’Emmanuel Macron est président ont été globalement un échec syndical », faisait remarquer Yves Calvi à Véronique Descacq, secrétaire adjointe de la CFDT, le 28 février sur RTL.

Cet « à-quoi-bonisme » est sous-tendu par un soutien explicite de cette même presse à la libéralisation du rail et à la fin du statut des cheminots, qui à l’instar de celui des fonctionnaires ne serait qu’un « archaïsme ». Dès la mi-février, Le Monde vantait dans un éditorial la « lucidité » et le « bon sens » du rapport de Jean-Cyril Spinetta pour sa description « d’un système ferroviaire à bout de souffle, maintenu sous oxygène par un État qui n’en a décemment plus les moyens ».

L’ouverture à la concurrence, « inéluctable » pour le quotidien du soir qui feint d’ignorer les possibilités d’y déroger prévues dans la loi européenne, est régulièrement parée de toutes les vertus. Tour à tour, les JT de France 2 et de TF1 ont vanté le « modèle allemand ». La chaîne publique mettant en avant, dans un reportage diffusé le 15 février, la qualité du service et les conditions de travail sur les lignes régionales confiées à des opérateurs privés, subventionnés toutefois à hauteur de 8 milliards d’euros chaque année. La chaîne de Martin Bouygues insistant sur la bonne santé économique de la Deutsche Bahn, dont l’objectif, assure un de ses porte-parole, « est de faire du profit » : en transportant moins de passagers que la SNCF, elle réalise un bénéfice quatre fois supérieur.

Ce parti pris pour « la réforme », rituel à chaque mobilisation sociale, est servi à satiété sur presque toutes les antennes où les syndicalistes et leurs soutiens se retrouvent en position défensive. Réputés hostiles au « changement » et arc-boutés sur la défense de « privilèges », ils sont systématiquement accusés d’exercer un « chantage » en voulant « bloquer le pays », qu’ils soient interrogés par Nicolas Demorand (France Inter), Patrick Cohen (Europe 1), Yves Calvi (RTL) ou Apolline de Malherbe (RMC).

Ce déversement de propagande atteindrait-il ses limites ? « Le gouvernement a conscience que le climat social s’est dégradé », notait l’éditorialiste de TF1 le 22 mars. Non à cause des cheminots, précisait-il, mais « en raison de la grogne [cri des cochons, sangliers et ours, NDLR] des retraités qui se diffuse auprès de leurs enfants et donc par capillarité à l’ensemble des Français ». Les citoyens se forgeraient donc une opinion hors des médias ? C’est plutôt une bonne nouvelle.

Économie
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