Alignements pavloviens

À force de vouloir « convaincre » Trump de préserver l’accord sur le nucléaire iranien, la France est tout bonnement en train d’accepter ses conditions.

Denis Sieffert  • 25 avril 2018
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Alignements pavloviens
© photo : Ludovic MARIN / AFP

Il faut reconnaître à Emmanuel Macron un réel talent. Il sait écrire sa propre histoire. Celle d’un petit gars qui n’a pas froid aux yeux, et qui est capable de mettre dans sa poche l’irascible Donald Trump. Depuis son arrivée sur le sol américain, lundi, on nous raconte de nouveau cette histoire de poignées de main viriles, de bourrades dans le dos, de dîners intimes qui changent la face du monde. Les démentis que nous apporte la réalité n’y font rien. On a beau savoir que toute cette franche camaraderie n’a pas empêché Trump de retirer son pays de l’accord sur le climat, ni de transférer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, ni de se lancer dans un protectionnisme obtus, ni, probablement, ne le dissuadera de quitter la Syrie, on nous promet de nouveaux miracles. Il s’agit cette fois, nous dit-on, de convaincre le président américain de ne pas se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien. L’enjeu est considérable. Et le péril, immédiat. Rappelons les données du problème. L’accord de Vienne de 2015 fait obligation à l’Iran de renoncer à l’enrichissement d’uranium, autrement dit, au nucléaire militaire. En échange de quoi, les cinq membres du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne, s’engagent à lever des sanctions économiques qui s’appliquent au moins depuis 1996.

En vérité, cet accord n’a de consistance que si les États-Unis le respectent. Or, Donald Trump n’a de cesse de menacer d’un désengagement américain. La date en est même fixée. Ce serait le 12 mai. Pour ne pas mettre sa menace à exécution, il pose à ses partenaires un véritable ultimatum : si vous ne durcissez pas les termes de l’accord, nous nous en retirerons. Réplique immédiate de l’Iran : dans ce cas, nous reprendrons notre marche vers la bombe. On devine l’engrenage. C’est une politique du pire qui réjouirait deux acteurs majeurs du « Grand Jeu » au Moyen-Orient : Israël et l’Arabie saoudite. Ces deux pays rêvent d’entraîner les États-Unis dans une confrontation avec l’Iran. L’affaire est donc de la plus extrême gravité. La question est de savoir quelle est la position française. Elle n’est pas claire, c’est le moins que l’on puisse dire.

Officiellement, Emmanuel Macron va défendre l’accord auprès de Donald Trump. Mais pour convaincre son nouvel ami, on voit que le président français commence lui-même à admettre qu’il faudrait poser à l’Iran d’autres conditions comme le démantèlement des missiles balistiques utilisées en Syrie. Ce n’est pas ici que l’on manifestera la moindre indulgence pour le rôle joué par l’Iran dans la guerre civile syrienne. Bien avant Poutine, c’est l’Iran, directement ou par l’intermédiaire du Hezbollah libanais, qui a sauvé Bachar Al-Assad. Mais ce n’est sûrement pas en poussant Téhéran à reprendre sa course à la bombe que l’on va arranger les choses. À force de vouloir « convaincre » Trump, la France est tout bonnement en train d’accepter ses conditions.

Et pour faire bonne mesure, Paris n’exclut pas non plus d’étendre l’interdiction faite à l’Iran au-delà de 2025, échéance fixée par le texte de Vienne. Exactement ce qu’exige Trump ! La différence, on le voit, ne serait plus qu’affaire de style entre un président américain qui veut renverser la table et un président français qui pratique discrètement une surenchère de toute façon inacceptable pour Téhéran. La diplomatie de la tape dans le dos ne serait donc qu’un enfumage propre à dissimuler notre alignement sur Washington. « Alignement » : le grand mot est lâché. Il ne devrait plus appartenir au vocabulaire d’un monde infiniment complexe. Pourtant, un homme l’emploie fréquemment, c’est Jean-Luc Mélenchon. Pas toujours à tort, comme on vient de le voir, quand il s’agit de critiquer la politique extérieure de la France. Encore faudrait-il qu’il ne s’aligne pas lui-même sur Moscou. J’ai été stupéfait de l’entendre au sortir de l’ambassade de Russie relayer un discours bien peu convaincant. « J’ai appris », a-t-il dit, que la Russie avait proposé à la France de mener une enquête pour déterminer s’il y a eu ou non une attaque chimique le 7 avril sur Douma.

Après plus de quatre-vingts attaques chimiques, le plus souvent depuis des hélicoptères, parfois par des appareils Soukhoï livrés par la Russie, après des milliers de morts civils par asphyxie, et tant de témoignages d’ONG, de journalistes, d’équipes médicales, cette résistance à la vérité a quelque chose d’inquiétant. Rappelons que, le 16 novembre 2017, à l’ONU, la Russie a mis son veto au renouvellement du mécanisme d’enquête sur l’usage des armes chimiques. Et observons que, cette fois encore, les experts de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) ont été empêchés pendant plus d’une semaine d’accéder au site. Nier l’évidence est un combat d’arrière-garde. Cela n’invalide pas pour autant tout le discours de Mélenchon sur la crise syrienne. Cela l’affaiblit considérablement. Le temps des alignements devrait être révolu. Les réflexes pavloviens ne sont plus de mise.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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