Thomas Coutrot : Pour le travail vivant

L’économiste Thomas Coutrot invite la gauche à repenser le travail, dans le sens d’une liberté et d’une autonomie accrues, pour une politique d’émancipation.

Olivier Doubre  • 25 avril 2018 abonné·es
Thomas Coutrot : Pour le travail vivant
© photo : Bruno Trentin, ex-secrétaire général de la CGIL italienne, ici en 1997, à Rome. crédit : Leemage/AFP

Grande figure du syndicalisme italien, ancien résistant communiste, ex-secrétaire général de la CGIL (équivalent de notre CGT), Bruno Trentin développa sur la fin de sa vie une critique du « logiciel fordiste » très fortement implanté dans la pensée de la gauche du XXe siècle (1). Il contribua fortement à la critique de la conception du progrès de la gauche syndicale et politique, marquée notamment par sa ferme et ancienne adhésion à « l’organisation scientifique du travail » (Taylor) et, longtemps, sa relative indifférence à la question de l’émancipation dans le travail.

Cofondateur des Économistes atterrés, porte-parole d’Attac et chroniqueur régulier de Politis, Thomas Coutrot fait sien, dès les premières pages de ce nouvel essai, Libérer le travail, « le diagnostic radical de Bruno Trentin » et ajoute : « Nous avons préféré le pouvoir d’achat au pouvoir d’agir et miné les fondements de la liberté politique en délaissant la liberté du travail. » Une préférence qui passait, face au capitalisme, entièrement par « la stratégie d’un État émancipateur ». Pis, rappelant son engagement ancien de socialiste libertaire ou autogestionnaire, l’économiste savait bien l’échec de cette stratégie dans sa version léniniste, mais crut longtemps qu’un socialisme démocratique pourrait « contrer le capitalisme avec les nationalisations, la redistribution des richesses, la planification démocratique ». Et d’admettre aujourd’hui combien « avec la gauche du XXe siècle, nous avons fait fausse route »

Changer réellement la vie et la politique signifie donc, pour Thomas Coutrot, de changer et de libérer le travail, tant toute la sphère de celui-ci « imprime sa marque sur l’ensemble des comportements et des rôles sociaux ». Mais l’auteur souligne d’emblée qu’il ne s’agit pas de cesser de défendre « âprement » les conquêtes sociales du XXe siècle « contre l’avidité des privilégiés ». Toutefois, la bataille à venir concerne plutôt aujourd’hui « la politique du travail vivant », que l’économiste et statisticien va alors esquisser de manière aussi précise qu’ambitieuse. Il rappelle notamment l’importance de la question pour les citoyens aujourd’hui, au regard de la souffrance au travail de plus en plus dénoncée, mais aussi du refus de la dégradation du travail, comme l’avait exprimé le slogan « On vaut mieux que ça » lors du mouvement social contre la loi El Khomri.

Alors que le capitalisme tend à dominer les travailleurs en transformant leur travail en pure abstraction, il s’agit au contraire de faire « des finalités et des effets concrets du travail les critères essentiels de sa gouvernance ». Avec pour principes fondamentaux celui d’égalité (contre la subordination), et celui de « commun », que Thomas Coutrot entend ainsi : « l’auto-organisation durable d’une communauté productive ». Et l’économiste d’espérer faire « à la fois de la démocratie un outil de travail et du travail l’école de la démocratie ». Le combat ne fait que commencer…

(1) La Cité du travail. Le fordisme et la gauche, Bruno Trentin (1997), traduit de l’italien par Jérôme Nicolas, Fayard, 2012. Cf. notre article in Politis n° 1246.

Libérer le travail. Pourquoi la gauche s’en moque et pourquoi ça doit changer Thomas Coutrot, Seuil, 320 p., 20 euros.

Idées
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