[TRIBUNE] Histoires de carburants et de leviers

Dans cette tribune, Francis Daspe affirme la nécessité de converger, décloisonner et fédérer pour parvenir à renverser la table par la réalisation de la révolution citoyenne.

Francis Daspe  • 31 mai 2018
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[TRIBUNE] Histoires de carburants et de leviers
Photo : Marée populaire parisienne le 26 mai 2018.
© BERNARD MÉNIGAULT / CROWDSPARK

Si l’inertie des peuples est la meilleure forteresse des tyrans, le mépris social constitue de manière symétrique le meilleur carburant possible des révoltes et des révolutions. L’aveuglement et la suffisance sont à y ajouter. C’est la stratégie actuellement adoptée par le président de la République Emmanuel Macron. Son monde incarne à l’excès cette prétention de caste.

Francis Daspe est animateur des Assises itinérantes de la Table renversée de l’Agaureps-Prométhée et auteur du livre La Révolution citoyenne au cœur (Eric Jamet éditeur, octobre 2017).

En réalité, c’est un bien petit monde, particulièrement binaire, entre « les gens qui ne sont rien » et « les premiers de cordée ». L’évidence saute pourtant aux yeux : les premiers de cordée sont si peu de choses, tandis que les gens qui ne sont rien sont presque tout. Le parallèle avec la situation prévalant en 1789 prend toute sa signification. Dans sa célèbre brochure publiée début 1789 dans le cadre de la préparation des États-généraux, l’abbé Sieyès s’interrogeait en posant la question suivante : « Qu’est-ce que le Tiers-État ? » Il y répondait en trois temps pour indiquer que, s’il était en réalité tout, le Tiers-Etat n’avait été jusqu’à présent dans l’ordre politique rien, mais qu’il demandait désormais à y devenir simplement quelque chose. La révolution qui survint procéda à un grand chamboulement de l’ordre social et politique. Est-ce à dire que nous sommes dans une situation similaire ?

Inventer pour rompre en profondeur

Le moment révolutionnaire ne se décrète pas ; il lui faut une étincelle. Il dispose cependant de conditions favorables. Celles-ci se résument en une affirmation : l’idée tenace ancrée dans les mentalités que tout peut continuer comme avant doit être invalidée et balayée. En d’autres termes, la reproduction à l’infini du réel n’est plus possible. La seule issue consiste à inventer pour rompre en profondeur. La situation caractérisant aujourd’hui la France s’y rattache. La colère atteint un tel paroxysme que le désenchantement et la résignation sont en capacité de se transformer en mobilisation. Les marées populaires de samedi 26 mai doivent être comprises comme une étape supplémentaire, et peut-être décisive, dans la construction et dans l’expression d’une alternative radicale.

Ces marées populaires qui ont essaimé sur l’ensemble du territoire ont activé de concert trois leviers indispensables pour espérer renverser la table. Il s’agit à la fois de converger, de décloisonner et de fédérer.

La convergence dans les luttes représente un préalable trop longtemps minimisé dans les réflexions et malmené dans les pratiques ; toutes constituent une partie inaliénable de l’intérêt général, lui-même un et indivisible. Ce qui survient aux uns peut arriver aux autres ; il concerne en toute hypothèse tous quand bien même certains n’en seraient pas directement affectés.

Le décloisonnement des contestations et des revendications exprimées par les forces associatives, syndicales et politiques a produit des effets revigorants. Il se situe à rebours de l’absurde séparation qui nie la communauté de destin de l’action collective, oubliant la nécessaire double besogne (quotidienne et d’avenir) de la charte d’Amiens, si mal comprise. Il est également à l’opposé de la théorie (ou de la réalité) de la conception insensée et « rabougrissante » de la courroie de transmission qui ne possède aucun fondement réel opératoire.

La politique, une question de dynamique

La dynamique visant à fédérer le peuple pour un avenir en commun mobilisateur est alors rendue possible. Il s’agit d’infuser dans la société, tel un mouvement de masse touchant au plus profond les consciences des populations. La politique n’étant pas une question d’arithmétique mais au contraire de dynamique à construire, fédérer le peuple ne consiste pas à rassembler dans d’improbables cartels les petites chapelles éparses, en déshérence ou pas peu importe, dont la somme reste très loin du compte.

Pour autant, tous les leviers et les carburants du monde ne seraient que peu de choses sans perspective majoritaire. La formation d’une nouvelle conscience collective doit s’incarner dans une nouvelle majorité populaire et la promesse d’un avenir en commun. Aujourd’hui, seule la France insoumise se retrouve en capacité de proposer de telles perspectives.

Celles-ci se nourrissent autant qu’elles nourrissent la décomposition et le délitement du vieux monde à balayer. C’était le cas de l’Ancien Régime en 1789 avec Louis XVI qualifiant la prise de la Bastille de révolte, occultant la réalité de la révolution naissante. Avec un aveuglement identique, mais avec un supplément de morgue en prime, le Premier ministre Édouard Philippe attribuait aux marées populaires un « petit coefficient ». Le régime actuel possède cependant une capacité de résistance supérieure à la monarchie brinquebalante ; les oligarchies du temps présent reconnaissent Emmanuel Macron comme leur ultime rempart. Dans un réflexe de classe ou de caste, elles font bloc en conséquence avec lui. Il n’en allait pas de même des privilégiés à l’égard d’un roi faible et affaibli. Il faudra donc avec une énergie redoublée converger, décloisonner et fédérer pour parvenir à renverser la table par la réalisation de la révolution citoyenne qui serait alors à portée de main.

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Tribunes

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