Europe : Une autre politique d’accueil est possible

Trois députées européennes livrent leur analyse et leurs propositions pour un meilleur accueil des migrants.

Agathe Mercante  • 20 juin 2018 abonné·es
Europe : Une autre politique d’accueil est possible
© photo : Karpov / SOS MEDITERRANEE / AFP

Cecilia Wikström

Élue du groupe des Libéraux en Suède. Siège dans le groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe.

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L’affaire de l’Aquarius nous rappelle douloureusement que l’Europe n’est pas assez bien équipée pour faire face à ce type de défi. Le pire, c’est que cet événement fera jurisprudence. Tant que les procédures érigées par l’accord de Dublin III seront en application, cela se reproduira. Ces règles font que les pays qui disposent de rivages méditerranéens absorbent la majeure partie du flux migratoire et que la répartition des demandeurs se fait mal ailleurs en Europe. L’Italie, la Grèce, la France et l’Espagne ne peuvent pas y faire face seules. Il faut envisager une plus juste répartition des choses. C’est tout de même incroyable que nous ayons des lois qui régulent nos émissions de CO2, les produits chimiques que nous épandons, les véhicules que nous conduisons… et rien de tangible, de concret, sur l’immigration et l’accueil !

En 2016, j’ai été nommée rapporteure de la mission qui visait à réformer les procédures de Dublin, mandatée par la Commission européenne. Ce texte a été adopté par le Parlement européen. Qu’en a fait le Conseil européen ? Rien. Avec les traités actuels, nous pourrions déjà (un peu) améliorer la situation. Mais il faudrait que les quotas d’accueil exigés par l’Union européenne soient respectés, cela permettrait d’aider les pays qui gèrent l’afflux de migrants. Il faudrait les revoir, les adapter aux capacités de chacun des États membres et menacer de lourdes sanctions financières ceux qui, comme la Hongrie par exemple, ne s’y tiendraient pas. »

Marie-Christine Vergiat

Élue du Front de gauche en France. Siège au groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique.

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Les propositions de la Commission européenne et du Parlement vont dans le bon sens : elles proposent une gestion plus humaine des arrivées. Là où ça bloque, c’est auprès du Conseil. Et la raison de cette entrave est simple : les membres du Conseil ont des ambitions politiques, vu qu’ils sont les élus de chacun des pays membres. On ne peut pas défendre l’ouverture des frontières au nom d’un devoir humanitaire, car les gens ont peur. La première chose à faire serait donc de déconstruire les préjugés des peuples européens sur les migrants. Nombre de personnes ont en tête l’image du migrant économique venu d’Afrique subsaharienne. Mais qui sait qu’entre 2015 et 2016 la Pologne a accueilli 500 000 émigrés d’Ukraine ? Car, s’il est exact de dire que certains États se refusent à mener de vraies politiques d’accueil, celles-ci peuvent être grandement infléchies selon la provenance des demandeurs. En France, on aura tendance à accorder l’asile plus facilement aux Afghans qu’en Allemagne ; la Pologne, elle, accueille plus de Tchétchènes…

À l’échelle de l’Union, il faudrait uniformiser toutes les procédures d’octroi de l’asile et permettre aux migrants de faire leur demande dans les pays où ils ont le plus de chances de l’obtenir : que ce soit sur des critères de langue, d’attaches, de proches… À Calais, par exemple, la plupart des candidats au départ pour le Royaume-Uni sont anglophones ou ont de la famille là-bas. Quel est l’intérêt pour eux de rester en France ? Il est faux et réducteur de dire, avec la finesse de notre ministre de l’Intérieur, qu’ils font du « benchmarking », il faut simplement adapter les demandes et faire en sorte que les demandeurs d’asile soient accueillis dans le pays de leur choix. Il faut aussi en finir avec l’idée que l’Europe – et la France – serait submergée. En 2016, l’Europe a accueilli 2,5 millions de demandeurs d’asile, pour une population de 511,8 millions au sein de l’Union européenne. »

Elly Schlein

Élue de Possibile, mouvement de la gauche sociale italienne. Siège dans le groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen.

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Il faut voir le problème dans sa globalité et se demander pourquoi les migrants arrivent en Europe. Les raisons sont nombreuses : changement climatique, guerres, inégalités sociales, dictatures, pauvreté… Sur tous ces points, l’Union européenne a une responsabilité à assumer. Sur le plan financier, par exemple. Aujourd’hui, elle achète aux pays africains des produits à un coût si bas qu’il est inférieur aux prix locaux. Ces accords d’échanges appauvrissent encore les populations. À l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières, il faut repenser la lutte contre l’exil fiscal : l’Afrique, en vingt ans, a perdu plus de mille milliards de dollars à cause de ces fraudes. Et l’Union européenne le tolère. Telle est la face (très) peu reluisante des politiques de dérégulation financière. Il en va de même pour les pays en guerre, où l’hypocrisie de la communauté européenne est encore plus criante. D’un côté, l’Europe plaide pour la paix et, de l’autre, le marché de l’armement n’a jamais été aussi florissant. En 2016, les ventes d’armes ont augmenté de 25 % en Italie.

Pour ce qui est des aides au développement versées par l’UE aux pays étrangers, en Afrique notamment, elles sont d’autant plus mal utilisées qu’elles sont souvent à destination des pays que l’Europe charge de gérer la crise des migrants à sa place. La Libye et la Turquie en sont d’excellents exemples. Les fonds alloués par l’UE ne servent pas, in fine, à aider les populations à se développer. Ces États les utilisent pour renforcer leurs frontières, augmenter les effectifs de leurs garde-côtes. En bref, empêcher les populations de partir plutôt que de leur donner envie de rester. L’Europe n’a pas vocation à donner de l’argent pour construire des murs dans le désert. »

Société
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