L’homophobie ne recule pas malgré les avancées de la loi

53 % des lesbiennes, gays, bisexuels ou transgenres ont déjà été confrontés à au moins une forme d’agression homophobe dans leur vie. C’est ce que dévoile une grande enquête de l’Ifop, à la veille de la Marche des fiertés parisienne.

Marie Pouzadoux  • 29 juin 2018
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L’homophobie ne recule pas malgré les avancées de la loi
© photo : GEORGES GOBET / AFP

L GBT HORS DE FRANCE. » L’inscription, en lettres capitales, a été découverte au milieu d’un carrefour du quartier du Marais à Paris, tandis qu’un passage piéton, habillé aux couleurs arc-en-ciel à l’occasion de la Marche des fiertés, était badigeonné de peinture blanche. Cet acte de vandalisme, contre lequel la maire de Paris, Anne Hildago, a annoncé sur Twitter qu’elle porterait plainte, est loin d’être isolé : l’homophobie ne faiblit pas en France, comme le révèlent les données d’une enquête Ifop pour la fondation Jean-Jaurès, publiée le 27 juin (1).

Agressions verbales, attaques physiques, menaces

« L’homophobie est la plupart du temps verbale, mais elle peut aller jusqu’à la violence corporelle », indique François Kraus, chargé du pôle Genre, sexualités et santé sexuelle de l’Ifop. Un·e homosexuel·le sur deux (49 %) a déjà fait l’objet d’insultes ou d’injures homophobes. L’agression physique est loin d’être marginale : un quart des LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres) ont déjà été agressés sexuellement, et plus d’un sur six ont fait l’objet de violences physiques.

Deux tiers des homosexuel·le·s ont déjà été confrontés à au moins une forme d’agression homophobe au cours de leur vie : 53 % pour l’ensemble des LGBT, dont 17 % l’ont vécu au cours de l’année écoulée. Cela représente environ 565 000 victimes, sur les 4 millions de LGBT en France (soit 8 % de la population), selon l’Ifop. Loin d’être une expérience de jeunesse ou lointaine, les agressions touchent les personnes LGBT à tout âge.

Outre les agressions, « les menaces ne sont pas en reste », souligne François Kraus. Parmi les LGBT sondés, 18 % ont fait l’objet de menaces d’« outing », c’est-à-dire la révélation contre leur gré de leur homosexualité, bisexualité ou transidentité. Chez les homosexuel·le·s, le chiffre atteint 24 %. Un phénomène qui gagne du terrain, touchant notamment les plus jeunes en milieu scolaire.

Les discriminations liées à l’orientation sexuelle sont également quotidiennes et diverses : au travail (25 %), à l’école (21 %), dans la recherche d’emploi (19 %)… Ainsi, un tiers des LGBT affirment avoir déjà été discriminés en raison de leur orientation sexuelle, en particulier « par des représentants des forces de l’ordre (22 %) et des professionnels de santé (20 %) ».

Un ratio représentatif

« C’est un sondage inédit, avec un intérêt méthodologique particulier, explique François Kraus. Jusqu’ici, il n’y avait que quelques rares données, produites par une fraction de la communauté LGBT (sites de rencontres, bars, associations…) : ce n’était que la partie émergée de l’iceberg. Nous avons interrogé toutes les personnes de l’échantillon qui se déclarent homosexuelles, bisexuelles et transgenres, soit 994 d’entre elles, un ratio représentatif. »

Tout comme pour le harcèlement sexiste, ce sont les établissements scolaires (26 %) et les lieux publics (23 %) qui « constituent un terreau des plus favorables » aux agressions verbales homophobes. Autre surprise pour François Kraus : « L’idée que l’homophobie est plus forte en milieu rural qu’urbain a été balayée : les actes discriminants et violents sont justement plus importants dans les aires urbaines, les centres villes et en région parisienne. »

C’est d’ailleurs dans les quartiers populaires de ces villes, selon lui, que l’on trouve les premières victimes des actes homophobes et sexistes. Le rapport de l’étude met en lumière la problématique de l’intersectionnalité : « Les LGBT appartenant aux minorités religieuses, ethniques ou culturelles tendent à souffrir d’une double discrimination portant à la fois sur leur identité sexuelle ou de genre et leur appartenance à une communauté ethnique ou culturelle. C’est particulièrement net en ce qui concerne l’exposition à au moins une forme de discrimination au cours des douze derniers mois (28 % chez les racisés, contre 11 % chez les non-racisés). » Ainsi, 87 % des LGBT interrogés condamnent les discriminations et violences homophobes au même titre que les actes racistes : pas de hiérarchisation, plutôt une lutte commune contre tous les ostracismes.

Le poids étouffant des normes sociales genrées

Avoir « l’air gay » est excluant. C’est un autre constat que dressent la Fondation Jean Jaurès et l’Ifop. Un marqueur de féminité chez un homme ou de masculinité chez une femme augmente le risque d’exposition aux violences. Comme si l’opinion tolérait l’homosexualité tant qu’elle reste privée, cachée, mais la rejetait dès lors qu’elle devient visible. « Les LGBT décrivant leur apparence physique comme “androgyne” sont deux fois plus nombreux que la moyenne à avoir déjà fait l’objet de moqueries, de menaces d’agression, de violences physiques. De même, les femmes LGBT ayant les cheveux courts/rasés sont beaucoup plus nombreuses à avoir été victimes d’agressions physiques (7 %, contre 1 % des femmes ayant les cheveux longs). » 

Pour contrer ces agressions, de nombreuses personnes LGBT mettent en place des stratégies d’évitement, se résignent à se conformer au style hétéronormé afin de ne pas attirer l’attention : 45 % ont déjà évité certains quartiers de peur d’être agressés ; un tiers renoncent à afficher leur orientation sexuelle sur les réseaux sociaux ; 60 % déclarent éviter d’embrasser ou de tenir la main de leur partenaire en public. Pour vivre heureux, vivons cachés…

Autant de victimes d’homophobie qu’il y a sept ans

Pour l’Ifop, tout comme pour SOS Homophobie qui publie chaque année un rapport fondé sur les actes homophobes déclarés à l’association, la tendance est à la stabilisation depuis quelques années. « Par rapport à notre enquête réalisée en 2011 pour le magazine Têtu (sur un échantillon moins important), on observe une stabilité. Néanmoins, il a eu des avancées légales et juridictionnelles pour les personnes LGBT depuis. Pourtant, le niveau d’agression et de discrimination reste le même : l’impact sur l’homophobie de ces changements est plus que décevant », commente François Kraus. Il n’est pas pessimiste pour autant : « Comme pour les violences faites aux femmes, libérer la parole permet aux victimes d’actes homophobes de se dire “je ne suis pas seul” et de faire prendre conscience du phénomène, loin d’être marginal, à l’opinion. En parler, évoquer la loi, peut faire baisser les actes homophobes et les rendre inadmissibles. »

La Marche des fiertés parisienne, dont le mot d’ordre cette année est « Les discriminations au tapis, dans le sport comme dans nos vies ! » , se déroule ce samedi 30 juin à 14 heures, entre les places de la Concorde et de la République.

(1) L’enquête a été réalisée par l’Ifop du 23 mai au 6 juin 2018 sur une population globale de 12 137 personnes, âgées de plus de 18 ans et vivants en métropole.

(2) 20 % des LGBT ont été victimes d’actes ou violences homophobes au sport et 17 % d’entre eux ne pratiquent pas un sport par peur des moqueries et de la stigmatisation.

Société
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