Belo Monte : Le retour des gens du fleuve

En Amazonie, l’énorme barrage de Belo Monte, sur le rio Xingu, lèse gravement la nature et les communautés. Mais à force de ténacité, les habitants des rives recouvrent en partie leurs droits.

Patrick Piro  • 18 juillet 2018 abonné·es
Belo Monte : Le retour des gens du fleuve
© photo : Francineide Ferreira est née sur l’île de Paratizinho, aujourd’hui engloutie. crédit : Patrick Piro

À quoi pense Francineide ? Devant son regard fixé sur le trait de rive défilent des cohortes d’arbres décharnés. Depuis deux heures, la lancha descend le rio Xingu bordé de milliers de squelettes, figés pour des décennies par la montée des eaux dans un garde-à-vous pathétique et accusateur. Des dizaines d’anciens îlots submergés se signalent par des grappes de houppiers morts dont les nervures grises laissent désormais passer le ciel. Ici, on ne dit plus « le fleuve », mais le réservoir.

La barque accoste au droit de la digue qui barre le lit à l’entrée de la Volta grande, immense boucle de 100 km avant que le rio Xingu file mêler ses eaux à l’Amazone, plus au nord. Au pied de l’usine hydroélectrique, l’eau relâchée bouillonne à nouveau dans un dédale sauvage de taches vertes et de bras fluviaux : une photo souvenir du lit d’amont avant la construction du barrage.

Expulsée du paradis

Mais bien pâlie pourtant. Car les turbines ne restituent dans la Volta grande qu’environ 20 % du débit capturé. La digue, large de 3,5 km, a pour fonction principale de dériver au plus court, par un canal, l’essentiel du volume des eaux du rio Xingu jusqu’à la sortie de la grande boucle. Au débouché de ce court-circuit d’une centaine de mètres de dénivelé l’attend la centrale électrique de Belo Monte – « le Mont joli ».

« Belo monstre », raille la population locale. Il faut faire le tour par la route, 100 km sur la fameuse Transamazonienne à partir d’Altamira, la principale ville de ce coin de l’État du Pará, pour saisir de visu la démesure de l’ouvrage. Un contrefort de béton barre l’horizon, flanqué d’une batterie de 18 énormes turbines. La dernière devrait entrer en service en 2020. Avec 11 233 mégawatts (MW) installés, Belo Monte est la troisième centrale hydroélectrique au monde en puissance. En moyenne annuelle, elle produira l’équivalent de six centrales nucléaires, couvrant 10 % de la consommation brésilienne d’électricité.

Le projet émerge à la fin des années 1980 dans les têtes d’aménageurs fascinés par le potentiel du gigantesque bassin hydrographique de l’Amazone. Il est confronté dès le début à une farouche opposition des communautés indiennes, menées par l’emblématique chef kayapo Raoni, qui parviendra à susciter d’importants appuis internationaux. Protégés par la Constitution, les Indiens arracheront quelques modifications au projet, dont le canal de dérivation

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Écologie
Temps de lecture : 13 minutes