Des pépins dans le millefeuille constitutionnel

L’Assemblée nationale a commencé l’examen de la révision de la Constitution, qui est loin d’être gagnée. Ça coince sur plusieurs points, notamment la limitation du droit d’amendement.

Michel Soudais  • 11 juillet 2018 abonné·es
Des pépins dans le millefeuille constitutionnel
© photo : Emmanuel Macron devant le Congrès, à Versailles, le 9 juillet.crédit : LUDOVIC MARIN/AFP

Ce fut la seule annonce précise du long discours d’Emmanuel Macron devant le Congrès, le 9 juillet, à Versailles.

Une réforme en trois textes

Le projet de loi constitutionnelle en débat à l’Assemblée nationale n’est que le premier volet de la réforme institutionnelle voulue par Emmanuel Macron. Il est complété par un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire qui seront examinés à l’automne.

Le premier, entre autres dispositions, diminue le nombre de députés de 577 à 404 et celui des sénateurs de 348 à 244, allonge d’une semaine le délai entre la présidentielle et les législatives, limite l’exercice d’un mandat parlementaire ou d’une fonction exécutive locale à trois mandats consécutifs, et précise les conditions d’éligibilité au scrutin de liste des députés (15 %) qui seront élus à la proportionnelle permise par le projet de loi ordinaire, qui habilite également le gouvernement à redécouper les circonscriptions électorales par ordonnance.

Il s’agit donc d’un paquet. La République en marche dispose à l’Assemblée d’une majorité suffisante pour imposer ces deux projets de loi suivant la procédure accélérée. Mais cette procédure ne s’applique pas au projet de loi constitutionnelle, qui sera débattu à l’Assemblée nationale et au Sénat, sans possibilité pour le gouvernement de recourir au temps législatif programmé, tant que les deux assemblées ne l’auront pas adopté dans les mêmes termes. Ce qui peut prendre des mois.

Une fois le texte voté dans les mêmes termes, son adoption définitive est subordonnée à son approbation par référendum ou par les deux assemblées réunies en Congrès, à la majorité des 3/5e.

Critiqué pour le caractère monarchique de cette convocation – l’article 18 de la Constitution permet seulement aux parlementaires de débattre de la « déclaration » du Président « hors sa présence » –, le chef de l’État a indiqué avoir « demandé au gouvernement de déposer […] un amendement au projet de loi constitutionnelle » examiné à l’Assemblée nationale, « qui permettra que lors du prochain Congrès [il] puisse rester, non seulement pour écouter [les parlementaires]_, mais aussi pour pouvoir_ [leur] répondre ». Dès l’an prochain donc, Emmanuel Macron ayant décidé de ritualiser ce discours au Congrès. Une promesse qui suppose que d’ici là la réforme institutionnelle, annoncée l’an dernier au Congrès, et dont il a reconnu qu’elle a pris du « retard », soit votée.

Interrogé dans les couloirs du Congrès, Richard Ferrand s’est montré moins présomptueux : « Je me bats pour, mais rien n’est garanti », nous a confié le président du groupe des députés macroniens. Rapporteur général du projet de loi constitutionnelle, dont les députés commençaient l’examen le 10 juillet, il note que la procédure d’adoption n’en est qu’« au début » et juge qu’« il serait bien trop tôt pour faire un pronostic ». Plusieurs dispositions de ce projet, qui prévoit la suppression de la Cour de justice de la République, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil économique, social et environnemental, et encore des différenciations territoriales accrues, avec mention de la Corse, sont en effet susceptibles d’empêcher son adoption. Celle-ci requiert en effet, au terme d’un long processus parlementaire, l’approbation de 60 % des députés et sénateurs. Ce qui est encore loin d’être acquis.

C’est notamment la crainte exprimée par le coprésident du Conseil supérieur de la magistrature, pour qui la réforme de cette institution inscrite dans le texte constitue « une avancée » et « une étape » vers l’indépendance des magistrats : « Nous espérons fermement que la complexité de la réforme constitutionnelle ne fera pas qu’une nouvelle fois on reportera à demain cette réforme très importante », s’est inquiété Jean-Claude Marin, par ailleurs procureur général près la Cour de cassation sur le départ.

Favorables de longue date à cette réforme, à laquelle le gouvernement Jospin avait dû renoncer faute d’avoir la majorité qualifiée nécessaire, les socialistes ne sont pas pour autant enclins à accepter le texte du gouvernement, en raison des dispositions qui, à leurs yeux, menacent l’équilibre institutionnel. « Nous nous opposerons à l’affaiblissement du Parlement », annonce le député des Landes Boris Vallaud, pour qui la réforme institutionnelle va « approfondir la dérive césariste » initiée par Emmanuel Macron et faire de l’Assemblée « le plus docile des corps dociles de sa république ».

Si, lors de l’examen du texte par la commission des lois, les députés ont unanimement accepté un amendement supprimant le mot « race » de la Constitution, introduit également l’interdiction de « distinction de sexe », et inscrit la préservation de l’environnement, de la biodiversité ainsi que l’action contre le changement climatique dans son article 1 (lire pages précédentes), plusieurs dispositions sont fortement contestées.

C’est le cas de la limitation du droit d’amendement. Cette mesure phare du projet de loi constitutionnelle, inscrite à son article 3, a été rejetée en commission par 7 voix contre 6 en l’absence d’un nombre suffisant de membres de la majorité. Tous les groupes d’opposition y étaient hostiles. Même au sein de la République en marche, certains députés, à l’instar de Sylvain Maillard, sont critiques. Ce n’est « pas une bonne solution », estime ce dernier, qui se dit « plutôt contre le fait de limiter le nombre d’amendements, parce que c’est le pouvoir du député de déposer un amendement ». Pour le centriste Jean-Christophe Lagarde, cette mesure fait partie de celles qui « cherchent à remédier à de vrais problèmes comme l’abus du droit d’amendement dans certains groupes, mais limiter ce droit est une atteinte à la capacité des oppositions de déposer des amendements ». Le président de l’UDI note d’ailleurs que sous la législature actuelle, « la dérive du nombre d’amendements est bien souvent le fait de la majorité », qu’il s’agisse de députés LREM qui cherchent à prouver ainsi leur activité parlementaire sans nécessairement aller jusqu’à défendre leur amendement en séance, ou le fait du gouvernement, qui modifie ainsi les textes qu’il dépose, s’affranchissant par là-même du contrôle du Conseil d’État.

C’est le cas aussi de la réduction de la navette parlementaire inscrite à l’article 5, qui vise à raccourcir le délai d’adoption des lois, rejeté aussi bien par les groupes de gauche que par Les Républicains, dont le 3e vice-président, Damien Abad, refuse de confondre le Parlement avec le « conseil d’administration d’une entreprise, où on doit agir le plus vite possible ». Même le centriste Jean-Christophe Lagarde, pourtant d’accord pour réduire le temps d’examen du budget à cinquante jours plutôt que « deux mois pour faire semblant », est apparu mitigé sur ce raccourcissement.

Enfin, la réduction du nombre de parlementaires et la dose de proportionnelle aux législatives constituent des points de blocage importants. Bien que ces mesures ne figurent pas dans le projet de loi constitutionnelle mais dans des projets de loi annexes qui seront examinés à l’automne (lire encadré), elles sont dans toutes les têtes. Et plusieurs groupes, conscients que la majorité macronienne a les moyens de les imposer, envisagent de faire capoter le projet de loi constitutionnelle. L’UDI, pourtant macron-compatible, n’a pas caché que la réduction de 30 % du nombre de parlementaires était pour elle « excessive », laissant 18 départements avec un seul député et 30 départements avec un seul sénateur. Elle demande de relever de 15 % à 20 % le nombre de députés élus à la proportionnelle.

Pour les groupes de gauche, un amendement LREM adopté en commission s’est ajouté à ces motifs de rejet. Il supprimait toute référence à la Sécurité sociale dans le texte de la Constitution, qu’il remplaçait par « protection sociale », ouvrant la voie à « l’État-providence du XXIe siècle » vaguement esquissé par Emmanuel Macron à Versailles. Face à la polémique suscitée par cette initiative, dénoncée avec force par les communistes, qui y voyaient « l’amorce de la fin de l’universalité de la protection sociale à la française », Richard Ferrand a déclaré renoncer à faire disparaître la référence à la Sécurité sociale, tout en annonçant « faire en sorte que le terme protection sociale figure cependant ». Sur ce point aussi, les débats promettent d’être vifs.

Politique
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