Il est temps d’entamer la décroissance pénale

TRIBUNE. Selon la magistrate et syndicaliste Laurence Blisson, le projet de loi de programmation de la justice, loin de marginaliser la prison, pourrait aggraver le problème.

Laurence Blisson  • 11 juillet 2018 abonné·es
Il est temps d’entamer la décroissance pénale
© photo : ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/ AFP

Emmanuel Macron a prétendu impulser une nouvelle politique qui aurait pour visée de « sortir de prison plusieurs milliers de personnes pour qui la prison est inutile, voire contre-productive » et, en assurant l’exécution rapide des peines, leur redonner du sens. Louable vocation quand la peine emprunte trop souvent le sens unique de la relégation sociale et spatiale. Mais le projet macroniste, obnubilé par la rapidité d’exécution, se prive d’une réflexion en deux temps : quand la sanction pénale se justifie-t-elle, pour la société et pour le coupable ? Et comment peut-elle se départir de la seule notion de punition pour tenter d’agir sur le social, sans imaginer à elle seule épuiser et tarir les causes de la délinquance ni sombrer dans l’illusion de la « responsabilisation » du condamné ? Trop souvent, les alternatives à la prison sont examinées avec circonspection – quels en seront le contenu, la fréquence et le sérieux ? – pour les écarter. À l’inverse, la prison est comme immatérielle dans la tête des juges, qui n’y renoncent que rarement à raison de la surpopulation et du temps vide que paradoxalement elle produit.

L’une des mesures les plus discutées publiquement aura certainement été l’interdiction de prononcer des peines d’un mois d’emprisonnement. Beaucoup de bruit pour rien, en réalité : s’il est juste de dire que ces peines sont inutiles et contre-productives, désocialisantes et dépourvues de sens, n’en est-il pas de même des peines de deux mois d’emprisonnement ? Or, la fixation d’un minimum de deux mois risque de produire un paradoxal effet de seuil, conduisant des juridictions à allonger la peine prononcée plutôt qu’à renoncer à la prison.

Tandis qu’il prétend marginaliser la prison, le projet de loi de programmation de la justice produit en réalité les conditions de la surpopulation, par action et par omission.

Par action, quand la réforme abaisse les seuils de recevabilité des aménagements de peine des personnes laissées libres à la sortie de l’audience : au-delà d’une année, désormais, les peines seront systématiquement exécutées en détention, sans aménagement possible avant l’incarcération. Cette réforme ne produira pas un abaissement des peines prononcées, ni des peines plus adaptées par le recours aux alternatives, mais bien une hausse de la population incarcérée. Pour les peines de six mois à un an, la possibilité offerte à la juridiction d’empêcher tout aménagement aura le même effet. La loi étend ainsi la liste des peines pouvant faire l’objet d’un mandat de dépôt avec le « mandat de dépôt différé ». Celui-ci ne soulagera que le juge, qui n’aura pas à être le témoin de l’incarcération immédiate, et prononcera avec facilité un enfermement sans matérialité immédiate. En faisant obstacle aux aménagements, le projet prétend redonner du sens à la peine, mais il ne fait qu’alimenter la prison contre la réinsertion.

Si le projet de loi risque d’aggraver la surpopulation, c’est aussi par omission : parce qu’il ne fait rien pour endiguer la détention provisoire, par exemple en rehaussant les seuils permettant d’y recourir ou en limitant la durée des mandats de dépôt. La réforme ne s’attaque pas plus à la comparution immédiate, cette justice insensée, d’abattage, qui alimente les prisons. Hors des affirmations de principe, elle ne favorise pas les alternatives à la prison, en se refusant, par exemple, à imposer au juge qui envisagerait de prononcer un emprisonnement de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure afin de réunir des éléments de personnalité et d’envisager une alternative. Enfin, elle fait l’impasse sur les dépénalisations indispensables et la révision de l’échelle des peines encourues pour des délits mineurs, pour lesquels la prison devrait être exclue. Dépénaliser est pourtant une évidence, par exemple en matière de stupéfiants, où la répression inefficace et dangereuse doit céder la place à une approche de santé publique, permettant la réduction des risques. Le code pénal, nourri à l’excès par l’appétit sécuritaire, doit se voir amputer d’infractions et de circonstances aggravantes qui alimentent la surpénalisation et la prison.

« On nous dit que les prisons sont surpeuplées. Mais si c’était la population qui était suremprisonnée ? », lançait en 1971 le manifeste du Groupe d’information sur les prisons. Près de cinquante ans plus tard, il est grand temps d’entamer la décroissance pénale.

Laurence Blisson Secrétaire générale du Syndicat de la magistrature

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