Hulot, l’échec de la voie solitaire

Le ministre démissionnaire aura mis seize mois à comprendre que, dans ce gouvernement, il était seul à défendre l’urgence à « changer de paradigme ». Et que le rapport de force jouait contre lui.

Patrick Piro  • 28 août 2018 abonné·es
Hulot, l’échec de la voie solitaire
© photo : Julien Mattia/NurPhoto/AFP

On se souvient d’une ancienne séquence d’« Ushuaïa », l’émission dont Nicolas Hulot était le producteur et le personnage central. Sur une plage malgache viennent d’éclore des centaines d’œufs de tortues vertes, et les adorables petites bestioles se précipitent vers la mer sous les piqués frénétiques des prédateurs ailés qui s’invitent au festin. Le nettoyage est radical, et c’est un Nicolas Hulot remué qui décide (il le dit) d’interférer sur la loi de la nature « pour en sauver au moins une », qu’il porte au creux de ses mains jusqu’aux premiers clapots supposés salvateurs. Las. À peine réalisé, son projet est ruiné par un bec impitoyable qui vient happer le bébé tortue. Regard fataliste de l’écologiste.

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Un lobbyiste à l’Élysée

Comme Delphine Batho avant lui, Nicolas Hulot a dénoncé mardi la « présence des lobbys dans les cercles du pouvoir ». La présence, sans invitation, de Thierry Coste, conseiller politique des chasseurs, à une réunion importante à l’Élysée, lundi, a « achevé » de le convaincre de démissionner.

Ce lobbyiste de 62 ans, qui travaille pour la Fédération nationale des chasseurs (FNC) et le Comité Guillaume Tell, représentant les propriétaires d’armes à feu, a l’oreille d’Emmanuel Macron depuis la campagne présidentielle, qu’il avait rejointe par l’entremise du socialiste François Patriat, après avoir conseillé Jacques Chirac, Philippe de Villiers et François Hollande.

Il se définit lui-même comme « un mercenaire » qui va « là où [ses] intérêts et ceux de [ses] clients seront les mieux représentés ». « Je n’ai pas de morale. Je respecte la loi, c’est clair. Mais au-delà de ça, la ruralité est ma passion donc je suis très machiavélique. Je vous le confirme ! Il n’y a pas beaucoup de gens qui l’assument, mais moi je l’assume complètement », déclarait-il sur RMC le 4 juin. Il assumait aussi défendre « des gouvernements étrangers qui sont des alliés de la France mais qui ont parfois des comportements très douteux avec les droits de l’homme ».

Michel Soudais

Il y a beaucoup du ministre Hulot démissionnaire dans cette scène où l’animateur à la fois sympathique et seul se rend à l’évidence. Qui aura cru jusqu’au bout que sa bonne volonté est une force de la nature à elle seule. Une sincérité qui frise la naïveté, voire le péché d’hubris.

Les convictions écologistes de l’homme sont indiscutables. Et si sa conversion progressive a pu laisser un temps penser qu’il s’arrangeait à bon compte des ambiguïtés de sa position (« Ushuaïa » était financée par le chimiste Rhône-Poulenc, entre autres, et diffusée par TF1, groupe Bouygues), il n’a eu de cesse d’approfondir son analyse jusqu’à rejoindre, il y a peu, les analyses d’une gauche radicale sur le rôle prépondérant du système économique néolibéral et de ses grands acteurs dans la crise écologique. Une conscience de notre époque, mais dont la fin de parcours politique (la conclusion s’impose) résonne pourtant comme la répétition de la méthode solitaire de la plage malgache, sanctionnée par un échec très prévisible.

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Outrageusement persévérant

Et il y en a eu d’autres, du même tonneau. Après le Hulot télévisuel, celui de l’engagement public à travers la fondation qui portait son nom, couronné par l’immense succès d’estime que lui voue le public. Ses campagnes appelant les individus à « agir pour sauver la planète » recueillent des centaines de milliers de signatures. Au point que ce Nicolas aimé des Français envisage la politique, convenant des limites de l’action associative. Il tourne autour du pot pendant des années, redoutant d’inféoder sa sacro-sainte conscience aux ambitions d’une famille politique – droite ou gauche. Il croit la route ouverte lors de la primaire des écologistes en 2011, mais à sa grande surprise, il est devancé par Eva Joly, qui portera les couleurs vertes à la présidentielle de 2012 : il avait pensé en toute bonne foi que sa notoriété et sa droiture lui valait sésame politique. Cuisante déconvenue dont il tira à l’époque la conclusion qu’il n’était pas taillé pour ce genre de jeux.

Avec Macron, c’était différent, a-t-il cru. C’est à la suite de contacts personnels démarrés en 2016 avec celui qui était alors un potentiel candidat qu’il sautera le pas et acceptera l’année suivante le poste de ministre de l’Écologie. Là encore, une décision prise dans un quasi tête-à-tête avec le puissant du moment, après avoir auparavant décliné les offres trop stigmatisantes des Chirac, Sarkozy et Hollande.

Pour statistiquement court (16 mois), son parcours ministériel est pourtant outrageusement persévérant, à la limite de l’aveuglement. Il était bien seul à croire encore, à l’automne dernier, aux vertus de sa méthode douce et à la parole donnée qu’il y aurait un esprit « de coopération » ministériel quand, blanc devant la caméra, il endossa les atermoiement nucléaires du gouvernement, présentés comme un « reculer pour mieux sauter ». Seul face au lobby de l’énergie, le ministre venait de se consumer en direct, et il a mis dix mois pour s’en apercevoir. Répétition plus tard dans le dossier des forages pétroliers, puis des pesticides, des perturbateurs endocriniens, etc.

Départ coup-de-tête

Le départ rageur de Nicolas Hulot démontre s’il en était besoin que l’invocation du bon sens, fût-il légitimement messianique, face à la profonde crise écologique, est inopérante en politique telle que l’époque la pratique. L’ex-ministre a confondu naïveté avec patience et recherche du consensus. La confession qu’il a livrée à Libération rejoue encore la scène malgache : son dilemme (livré en date du 2 août mais publié le jour de sa démission), c’est que l’équilibre précaire de la politique écologique ne tient que sur sa seule personne, et que s’il quitte le gouvernement, « ça sera pire ».

Rapport de force : un terme qui n’existe pas dans le lexique soft de Nicolas Hulot. L’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes est emblématique de son bilan, car il n’y figure en réalité qu’en pointillés. L’ex-ministre a été complaisamment associé à cette victoire : c’est bien la mobilisation citoyenne, tissée et renforcée depuis des années, qui a fait plier le pouvoir, dans un bras de fer dissous par une décision de pure gestion politique, et en rien écologiste, comme Édouard Philippe l’a exprimé en clair.

Aussi ce départ coup-de-tête, s’il n’ouvre aucune perspective d’engagements futurs pour cette personnalité qui aurait encore des services à rendre à la société, est-il finalement salutaire pour l’écologie politique au sens large. On pourra s’y conforter, ici dans les partis progressistes et là dans la sphère citoyenne, dans la conviction que la construction collective d’alliances, pour résister, affronter et proposer, dans une radicalité sans concessions, est bien le terrain où se joue l’essentielle bataille écologiste du siècle.

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