Populisme de gauche, le pour et le contre

La philosophe Chantal Mouffe et le syndicaliste Pierre Khalfa confrontent leurs visions du moment politique « antisystème » que nous vivons.

Olivier Doubre  • 19 septembre 2018 abonné·es
Populisme de gauche, le pour et le contre
© Photos : Mathieu Pedro

Tous deux figures de la gauche radicale européenne, ils ont d’emblée accepté de participer à ce débat proposé par Politis sur le thème : « La notion de populisme peut-elle être utile à gauche ? » (1). Avec la publication, en cette rentrée, de Pour un populisme de gauche (2), Chantal Mouffe livre un plaidoyer argumenté en faveur de ce qu’elle tient à présenter et à défendre comme une « stratégie » politique efficace pour la gauche du XXIe siècle face à l’hégémonie néolibérale mondiale.

Pour celle qui inspire une bonne part de la gauche contestataire européenne, de Syriza (Grèce) à Podemos (Espagne) en passant par les tenants du projet de Jeremy Corbyn (Royaume-Uni), le populisme doit permettre de réunifier le peuple avec des « demandes démocratiques et égalitaires » contre l’oligarchisation qui guette nos sociétés. Même s’il existe un populisme de droite qui adopte la même démarche « antisystème » mais en se trompant d’adversaire, les électeurs de ces partis, leurs affects et leurs souffrances ne sauraient, selon elle, être ignorés par la gauche. Et encore moins subir le mépris que les néolibéraux sont prompts à déverser sur eux, comme sur toutes les catégories populaires, supposées être les « perdantes » de la mondialisation.

Ancien dirigeant de Solidaires, membre de la Fondation Copernic et du conseil scientifique d’Attac, Pierre Khalfa récuse fondamentalement l’approche de Chantal Mouffe, s’insurgeant d’abord contre sa conception du peuple, défini simplement par son opposition aux puissants. Car, pour Pierre Khalfa, la politique consiste aussi à « créer du commun ». Mais sa critique se fait plus profonde lorsqu’il pointe l’approche du peuple par le populisme en tant que relation directe et verticale, généralement via un leader charismatique. Il se méfie surtout des tendances autoritaires que la notion est supposée contenir. C’est, selon lui, l’un des principaux dangers du populisme, fût-il « de gauche », car susceptible de verser facilement dans un vrai « autoritarisme ».

S’il peut sembler justifié de penser, avec Chantal Mouffe, que les sociétés contemporaines vivent aujourd’hui un « moment populiste », peu ou prou aux quatre coins de la planète (des Philippines sous l’autoritaire Duterte au Venezuela post-chaviste, de Donald Trump à l’Italie du Mouvement 5 étoiles allié à l’extrême droite), les situations diverses que celui-ci recouvrirait ne peuvent que donner à la notion un caractère assez flou, rendant toujours ardu l’exercice d’en livrer une définition précise. Car, comme le soulignent Bertrand Badie et Dominique Vidal dans l’introduction à l’opus 2019 de la série « L’état du monde », titré justement Le Retour des populismes (3), « le populisme est d’abord un mode de mobilisation et de protestation contre une souffrance sociale, économique et politique d’autant moins identifiable que l’acuité de la crise éloigne les vieilles idéologies ». À gauche, le débat entre ses défenseurs et ses opposants risque de perdurer encore longtemps. Mais tous devraient se souvenir que, comme le rappellent Badie et Vidal, « à des situations populistes répondent des formes de gouvernement qu’elles inspirent mais qui ne se ressemblent pas nécessairement ».

Quelle définition donnez-vous au terme « populisme » ?

Chantal Mouffe : La question dépend de la conception que nous nous faisons du politique, car il en est deux qui s’opposent. La première, appelée conception associative, tend à « l’agir commun », à essayer de créer du consensus. Et puis il y a la conception dissociative, dans laquelle nous nous inscrivons, où le politique a à voir avec le conflit et consiste à établir une frontière entre le « nous » et le « eux », compris comme des identités collectives. La vision libérale, au sens politique du terme, refuse les frontières ; c’est Macron, Tony Blair, Renzi… Le marxisme reconnaît, lui, l’existence d’une frontière dans le politique, mais il la construit entre prolétariat et bourgeoisie.

La spécificité du populisme est qu’il relève, évidemment, de cette conception dissociative, où la frontière est à construire entre le peuple (ou ceux d’en bas) et l’oligarchie (ou ceux d’en haut). Avant moi, Ernesto Laclau spécifie que le populisme n’est pas un régime, ni une idéologie, pas plus qu’il n’a un contenu programmatique spécifique. C’est pour cela qu’il peut y avoir un populisme de droite et un populisme de gauche, qui dépendent justement de la façon dont on construit la frontière, ou le nous/eux. J’ajoute que ces identités

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