Premier anniversaire du Ceta : toujours pas de « droit de véto » écologique en vue

Un an après l’entrée en vigueur « provisoire » du traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, en attendant la ratification des États, premier bilan avec Samuel Leré, de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH, ex-Fondation Nicolas Hulot).

Mathieu Pedro  • 25 septembre 2018
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Premier anniversaire du Ceta : toujours pas de « droit de véto » écologique en vue
© photo : STEFFI LOOS / GETTY IMAGES EUROPE / GETTY IMAGES/AFP

L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (Ceta) est entré en vigueur le 21 septembre 2017. Les vives inquiétudes des ONG environnementales avaient conduit le gouvernement et son ministre de l’Environnement de l’époque, Nicolas Hulot, à adopter un plan d’actions pour remettre les enjeux climatiques dans la balance. Un an après, le compte n’y est pas, dénonce la Fondation pour la nature et l’homme.

Le Ceta vise à uniformiser les normes d’un bord à l’autre de l’Atlantique. Pourtant, l’UE ne fait-elle pas mieux que le Canada en terme de politique environnementale ?

Samuel Leré : L’Union européenne n’est pas exemplaire et a encore des efforts à faire. Mais les engagements climatiques de l’UE vont au-delà de ceux du Canada. On le voit sur les résultats : un Européen émet trois fois moins de gaz à effet de serre (8,1 tonnes équivalent CO2) qu’un Canadien (24,6 tonnes). Les choix de sociétés sont différents entre Européens et Canadiens. Le Canada est le seul pays au monde à avoir commercialisé pour la consommation humaine des animaux aux OGM, avec par exemple le saumon de la marque Aqua Bounty. C’est aussi un champion des pesticides puisqu’il utilise 42 molécules (de pesticides) interdites au sein de l’UE. Sur le climat, Justin Trudeau, qui se vend souvent comme un grand défenseur du climat, a reconnu que le Canada ne tiendrait pas ses engagements de baisse des émissions de gaz à effet de serre prévue pour 2020. Bien que, de son côté, la France ait vu son budget carbone être dépassé de 6,7 %.

Selon la FNH, le Canada ferait pression pour ne pas faire du Ceta un accord éco-responsable ?

Le Ceta a mis en place le forum de coopération réglementaire, qui se passe à huis clos. Il n’y a pas d’accès aux discussions, comme celles sur le premier forum, dont une réunion portait sur les produits phytosanitaires [à Ottawa, le 26 et 27 mars 2018, NDLR]. Le Canada aurait renouvelé sa volonté de voir la France ne pas interdire le glyphosate. Preuve qu’à peine le Ceta entré en vigueur, le Canada et ses entreprises commencent déjà à utiliser les mécanismes de celui-ci pour tenter de décourager les autres États à aller plus loin en matière environnementale. Continuer à exporter son agriculture qui utilise du glyphosate et d’autres molécules interdites dans l’UE, voilà l’enjeu pour le Canada.

Le gouvernement français souhaitait l’inscription d’un « véto climatique » au sein du Ceta. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Le plan d’action du gouvernement allait dans le bon sens même s’il nous semblait déjà insuffisant à l’époque. Rien n’a été fait pour le véto climatique. Le Canada mais aussi l’Union européenne ne semblent pas forcément favorables à ce type de mécanisme. Dans tous les accords de libre-échange, les chapitres sur le climat restent non-contraignants. Comme avec le Japon [signé le 17 juillet, NDLR] ou avec Singapour [signature à venir en octobre, NDLR].

Si le plan d’action comprenant le véto climatique venait à être accepté et intégré dans le Ceta, cela ferait-il pression pour les autres traités de libre-échange à l’avenir ?

Oui, car le Ceta est le premier accord signé par l’UE qu’on appelle de « nouvelle génération » dans le sens où il ne vise pas uniquement à diminuer les droits de douane mais aussi à uniformiser les normes. La Commission européenne le prend en exemple comme « l’accord parfait ». Si on arrivait à changer cet accord et en faire un accord climato-compatible, l’UE, à chaque fois qu’elle négocierait des accords de libre-échange, serait obligée de reprendre en exemple ce qu’elle aurait fait avec le Canada. C’est particulièrement important car elle négocie des accords avec pleins d’États du monde notamment parmi les plus pollueurs, comme la Malaisie, qui arrive avec un gros enjeu sur la question de l’huile de palme. Et d’autres gros pays agricoles comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou les États sud-américains membres du Mercosur. Tout cet ensemble d’accords arrive alors que le Ceta est la norme à suivre.

Cela permettrait-il de sauver le principe de précaution ?

Il n’est pas présent dans le Ceta. Il l’est dans le Jefta [traité de libre-échange avec le Japon, NDLR], comme le demande l’accord de Paris. Mais il apparaît dans des chapitres pour le développement durable qui ne sont pas contraignants. Cela signifie que le Jefta ne sera pas impacté si, demain, le Japon nous attaque sur le principe de précaution, ou s’il décide de quitter l’accord de Paris sur le climat.

Qu’attendre de la part des États-membres de l’UE ? Vont-ils tous accepter de ratifier le Ceta ?

Pour l’instant, douze parlements nationaux l’ont ratifié [dont les pays baltes, la République tchèque, la Croatie, le Danemark, Malte, la Suède, la Finlande, le Portugal et l’Espagne, NDLR]. L’Autriche, qui avait annoncé qu’elle ne l’accepterait pas, l’a finalement ratifié. À voir ce que va faire l’Italie qui est le seul État à s’y opposer publiquement. Du côté de la France, on attend qu’elle se rende compte qu’elle n’a pas été capable de mettre en place son plan d’action… Elle doit s’opposer au Ceta et à tous les accords qui arrivent tant qu’on refusera de faire des accords de commerce des accords climato-compatibles.

Le Ceta restera « provisoirement » en vigueur même en cas de rejet d’un parlement national selon les dires de Pierre Moscovici. Pourquoi ?

Le Ceta est un accord jugé « mixte », c’est-à-dire qu’il relève à la fois des compétences de l’UE et de ses États-membres. C’est d’ailleurs pour ça que le Ceta est entré en vigueur à 95 % : car ce sont 95 % de compétences exclusives de l’UE. Seuls les tribunaux d’arbitrage nécessitent une ratification de tous les États pour entrer en vigueur. La question que l’on pose, et sur laquelle la Commission européenne n’a jamais voulu répondre clairement c’est : qu’est-ce qui se passe si finalement un État dit non ? Les traités de l’UE disent qu’il faut l’unanimité pour y rentrer… mais aussi pour en sortir. Théoriquement, si un État refuse le Ceta, il faut que les 28 – demain 27 – soient d’accord pour arrêter le Ceta. Une crise politico-juridique serait alors à envisager. Mais dans la situation actuelle le risque principal est que le Ceta reste en vigueur de manière provisoire… pendant des années.

Économie
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