Comprendre le Yémen

Avec Yémen. Écrire la guerre, Franck Mermier échappe aux lectures idéologiques pour restituer ce conflit complexe.

Denis Sieffert  • 24 octobre 2018 abonné·es
Comprendre le Yémen
© photo : Une exposition d’artistes yéménites sur la guerre, le 1er octobre à Sanaa.crédit : MOHAMMED HUWAIS / AFP

C’est devenu un cliché : la guerre oubliée. C’est pourtant une triste réalité. Le martyre du Yémen passe comme un reproche furtif dans notre actualité. Le pays le plus pauvre, mais aussi le plus peuplé, de la péninsule arabique nous intéresse peu. La guerre qui s’y déroule depuis le début des années 2000 est éclipsée par les autres conflits du Moyen-Orient, en particulier, depuis 2011, en Syrie. Sans doute l’ancien royaume de Saba est-il stratégiquement moins important pour les Occidentaux que la Syrie, l’Irak ou Israël-Palestine. Mais une autre raison explique notre indifférence. Le Yémen est le théâtre d’un conflit infiniment complexe. L’esprit cartésien ou faussement marxiste, qui aime les oppositions manichéennes, ne trouve guère à quoi s’accrocher.

Comprendre le Yémen suppose le renoncement à pas mal de préjugés idéologiques et des connaissances approfondies de la réalité yéménite. Ces connaissances, l’anthropologue Franck Mermier les propose pour une lecture exigeante. L’ouvrage collectif, et pluriel, qu’il publie sous le titre Yémen. Écrire la guerre, donne la parole à des auteurs yéménites aux subjectivités assumées. Le point de départ de cette tragédie contemporaine est sans aucun doute, paradoxalement, la réunification de 1990 entre Yémen du Nord, pro-occidental, et Yémen du Sud, prosoviétique. Car, comme l’analyse Mermier, « la disparition d’un mur a mis en évidence une multitude de murs invisibles ».

La révolution de mars 2011, dans le sillage du « printemps arabe », avait fait naître un fragile espoir en chassant l’autocrate Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis trente-trois ans, et ouvert la perspective d’une société démocratique et pluraliste. Espoir vite déçu quand « les notions de citoyenneté, de justice sociale, d’égalité et d’État civil sont chassées des places » au profit des appels au califat, comme le déplore la féministe Arwah Abduh Othman. La guerre de succession de l’après-Saleh – dont l’autocrate reste l’un des acteurs principaux jusqu’à son assassinat par ses propres alliés houthis, en 2017 – s’est peu à peu confessionnalisée autour de deux forces principales, salafistes et frères musulmans d’un côté, houthistes (chiites zaydites) de l’autre. Elle s’est internationalisée ensuite avec l’aide apportée par l’Iran aux houthistes et l’intervention de la coalition arabe, saoudo-égyptienne, à partir de 2014. À la manière de la Russie en Syrie, les aviations de Riyad et du Caire mènent alors une campagne d’anéantissement de la population civile. Cela avec le soutien tacite de Washington et de Paris, et les armes états-uniennes et françaises (1). Le mérite du livre de Mermier est, bien sûr, de mettre en évidence cette guerre « par procuration » entre Saoudiens et Iraniens, mais sans jamais reléguer les causes endogènes, sociales et tribales du conflit. Nous en sommes là aujourd’hui, face à une guerre multidimensionnelle et une catastrophe humanitaire sans nom.

(1) Lire le dossier de Lena Bjurström dans _Politis n° 1505, du 31 mai 2018.

Yémen. Écrire la guerre sous la direction de Franck Mermier, Classiques Garnier, 186 pages, 18 euros.

Idées
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