« Dilili à Paris », de Michel Ocelot : Princesse féministe

Conte d’émancipation, Dilili à Paris est une aventure graphique et poétique menée par la nouvelle héroïne de Michel Ocelot, vaillante fillette kanak.

Ingrid Merckx  • 9 octobre 2018 abonné·es
« Dilili à Paris », de Michel Ocelot : Princesse féministe
© photo : Mars films

De loin, on dirait la grande sœur de Kirikou, occupée à couper du manioc avec une lame. Quand le plan s’élargit, on comprend qu’elle joue en fait un rôle dans un « village indigène » installé aux Tuileries dans le Paris de la Belle Époque, peuplé de chapeaux claques ou à plumes, de costumes de jais, de robes à frous-frous et de voitures à cheval.

Dilili n’est pas africaine mais kanak. Dans sa Nouvelle-­Calédonie natale, elle a eu comme institutrice une certaine Louise Michel, qui lui a appris à parler comme un livre. Jaillissant par la sortie des artistes armée d’une corde à sauter lasso, Dilili porte une robe blanche à volants avec une ceinture canari, comme son gros nœud noué dans ses cheveux courts. Dans sa tenue de poupée des beaux quartiers, Dilili veut découvrir toutes ces extraordinaires personnes qui font de Paris la capitale des arts, des lettres et des sciences. Emma Calvé, Pasteur, Camille Claudel, Renoir, Picasso, Gauguin, Toulouse-­Lautrec, ­Chocolat, Eiffel, Proust…

Dilili à Paris est d’abord une traversée enchantée de ce Paris des artistes que Michel Ocelot se plaît à convoquer en reprenant l’imagerie de l’époque à sa manière. Une ville d’ardoises, de pavés, de verrières et de pierres, éclaboussée de couleurs que le cinéaste ajoute comme des oiseaux dans un arbre : étoffes, bijoux, jusqu’aux yeux azur du bel Orel, personnage qui brigue la palme d’or du prince le plus charmant que le dessin animé ait jamais compté. Coursier de son état, il habite une petite chambre sous les toits d’où il peut contempler un parterre de lumières et de transparences dont le créateur de Princes et Princesses a le secret. Aimé de tous et beau comme un page danseur, il entreprend de présenter le tout-Paris à sa jeune amie. « Je suis enchantée de faire votre connaissance », murmure la petite demoiselle dans une révérence de ballerine, avant de noter dans son carnet le nom de celle ou de celui qui lui inspire aussitôt une nouvelle destinée. Et les personnalités défilent devant le triporteur qui lui fait dévaler Montmartre comme un wagon lancé dans une montagne russe féerique.

C’est moins l’avalanche pédagogique de noms propres qui fait sourire que des scènes comme cette navigation dans les égouts à bord d’un bateau cygne mû par un mécanisme digne de Jules Verne, ou un vol illuminé à bord d’un dirigeable à pédales, ou encore la chevauchée à dos de panthère de Dilili dans les appartements de Sarah Bernhardt cependant que la comédienne échafaude un plan avec Louise Michel et Marie Curie. Car la jeune Kanak entend libérer les petites Parisiennes enlevées par les Mal-maîtres. Ces mâles blancs aux mines et aux discours aussi terrifiants que les rats de Brisby ou les Olmèques des Cités d’or veulent transformer les femmes en tabourets-niqab pour les empêcher de parler, rire, connaître, créer, grandir…

Dilili est un conte féministe porté par une petite fille noire, libre, brillante et vaillante. Une nouvelle figure d’identification forgée par un cinéaste qui fascine par son soin des décors, la grâce lente de ses personnages, ses plans fixes sur ses visages de papier et le charmant bruit de galopade que font ses jeunes héros. Leurs petits pas qui claquent, c’est comme un leitmotiv dans son nouvel opéra, un mot de passe pour son palais de mirages.

Dilili à Paris, Michel Ocelot, 1 h 35.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes