« Game Girls » : Quand on n’a que l’amour…

Dans Game Girls, Alina Skrzeszewska montre la vie chaotique d’un couple de femmes dans un quartier déshérité de Los Angeles.

Christophe Kantcheff  • 20 novembre 2018 abonné·es
« Game Girls » : Quand on n’a que l’amour…
photo : Teri et Tiahna.
© vendredi distribution

Game Girls nous emmène dans le pays de Trump, d’Obama et du rêve américain. Des noms et des mots dont il ne sera pas question dans ce film : les protagonistes ont d’autres chats à fouetter. Teri et Tiahna habitent à Skid Row, un quartier de Los Angeles. « Habiter » est beaucoup dire. Skid Row est connu pour être la capitale des homeless aux États-Unis. On y survit dans la misère, la violence et les odeurs pestilentielles. Un lieu qui concentre des Noirs, des pauvres, des trans, des junkies, des alcooliques, des psychotiques, toute une population fragile et reléguée qui, sans être dénuée de solidarités, est désunie. Au moins, Skid Row étant le royaume des marginaux, Teri et Tiahna ne semblent pas y être ennuyées en tant que lesbiennes formant un couple.

Au cours du tournage, Alina Skrzeszewska, dont c’est ici le troisième documentaire, a tout de même pu filmer une manifestation organisée par les habitants. « La ville de Los Angeles est responsable de la pauvreté qui l’envahit », y entend-on. Les violences policières, meurtrières comme on le sait, y sont dénoncées en des termes inouïs : « Les flics sont des terroristes de l’intérieur. » Tandis que les manifestants, quelle que soit leur couleur de peau, reprennent en chantant ce slogan des Black Lives Matter : « La vie des Noirs compte ! »

Voilà pour le contexte, parfaitement posé, et qui transparaît à chaque plan, sans misérabilisme appuyé. Il faut dire que la cinéaste n’a pas une position d’étrangère vis-à-vis de ce quartier. Elle y a vécu pendant un an quand elle était adolescente et y a déjà tourné son premier long-métrage, Songs from the Nickel (2010).

Les deux personnages qu’elle a décidé de suivre sont donc Teri et Tiahna. Au début du film, la première attend la seconde, sur le point de sortir de prison. On comprend rapidement que Tiahna est une dealeuse. C’est elle qui fait vivre le couple : Teri a des ­problèmes psychiques qui la handicapent dans tout ce qu’elle pourrait entreprendre. Ils la rendent par moment incontrôlable, comme dans la première séquence, où elle explose d’agressivité dans la rue. Et pèsent sur leur vie de couple, qui, a contrario, connaît aussi l’humour et la tendresse. Et la séduction, comme en ce jour de cérémonie de rue pour la Saint-Valentin, où Teri et Tiahna ont déboursé quelque argent pour des habits d’apparat.

C’est leur amour qui constitue la colonne vertébrale de Game Girls. Un amour forcément chaotique, mais qui permet de vivre, de respirer, de réfléchir aussi. Teri, se faisant coiffer par une amie trans, s’interroge sur les éléments qui font obstacle à son couple. Ce qui les amène toutes deux à une forme d’introspection, où l’amie coiffeuse finit par prononcer ces mots expliquant pourquoi la rue a fini par être leur univers : « Je ne dis pas que nos parents ne nous aiment pas, mais on va là où on nous accepte. »

C’est l’amour qui pousse Teri et Tiahna à vouloir s’en sortir, c’est-à-dire en premier lieu à partir vivre ailleurs. Elles font des démarches, notamment auprès des services sociaux, dont un employé les reçoit, compréhensif mais impuissant en raison de la suppression de certaines aides. Il n’empêche qu’elles réussissent à déménager.

Teri et Tiahna ont une telle confiance à l’égard de la cinéaste qu’elles se laissent filmer lors de disputes qui peuvent se transformer en pugilat. Alina Skrzeszewska porte sur elles un regard empathique, jamais en surplomb, mettant en valeur leur vitalité et leur beauté. Les séances d’« expressive art » avec une ­thérapeute auxquelles participent les deux femmes témoignent aussi de cette confiance et apportent au film une dimension métaphorique et visuelle d’une grande force : les participantes s’y projettent sous la forme de figurines ; Teri a choisi de se représenter en scorpion…

À la fin de Game Girls, c’est Tiahna qui attend Teri à la porte de la même prison où elle était incarcérée. Comme si une boucle cruelle était bouclée. Pourtant, sans mièvrerie, le film suggère que tant qu’il y a de l’amour, il y a de l’espoir, malgré les règles du jeu tragique que Skid Row impose.

Game Girls, Alina Skrzeszewska, 1 h 25.

Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes