Gauche-droite : Un débat indépassable ?

Le politiste Christophe Le Digol retrace l’histoire du clivage gauche-droite et montre sa persistance, en dépit des apparences.

Olivier Doubre  • 7 novembre 2018 abonné·es
Gauche-droite : Un débat indépassable ?
© photo : Eric FEFERBERG/AFP

Dès juillet 2017 (n° 1463), _Politis affublait Emmanuel Macron d’un qualificatif qui, depuis, a fait florès : « le président des riches ». Un an après son accession au pouvoir, le locataire de l’Élysée apparaissait en une sous le titre : « Macron, un an : la droite parallèle » (n° 1501-1502, 3 mai 2018). Le fameux « en même temps », synonyme d’un très hypothétique « ni de droite ni de gauche » mais hautement revendiqué par la Macronie, volait en éclats, et le Président se révélait sous son vrai visage, menant une politique de droite, néolibérale et sécuritaire.

Maître de conférences en science politique à l’université de Nanterre, spécialiste d’histoire parlementaire, Christophe Le Digol travaille depuis de nombreuses années sur la division ou l’opposition droite-gauche qui structure la vie politique depuis des décennies (1). Il était donc bien placé pour décrypter cette « révolution » qui, depuis 2016, « affecte, semble-t-il, la politique dans ses fondements : la fin du clivage gauche-droite ». Mieux, depuis la mi-2017 et ses scrutins successifs, « le nouveau président de la République, Emmanuel Macron, incarnerait le “dépassement” de ce clivage ». Durant toute la campagne présidentielle, journalistes et analystes de la vie politique, « comme hébétés », ont ainsi « débattu fort sérieusement » de ce qui semblait constituer la désintégration du « principe cardinal de description et d’analyse du champ politique ».

Or, Christophe Le Digol montre avec rigueur comment fut construit ce qui voulait se présenter comme une « révolution symbolique », au sens où Pierre Bourdieu l’avait définie dans le champ artistique avec la peinture de Manet : « un bouleversement des principes et des logiques de perception et d’interprétation du monde social ». Emmanuel Macron a donc présenté sa démarche comme une « éviction » ou un « dépassement » du clivage séculaire, « présenté comme retenant ce qu’il y a de bon à gauche et à droite ». Non sans efficacité, on le sait. Alors, souligne le politiste, « le temps et la place qui lui sont consacrés [dans les médias] tendent à donner de l’objectivité à un phénomène qui relevait encore de l’invocation et du prophétisme politique peu de temps auparavant ».

Aussi, l’annonce de la fin ou du dépassement dudit clivage « relève d’une stratégie politique » précise et préconçue, afin de briser, ou du moins de « rendre poreuses les frontières symboliques » en vigueur jusqu’alors. Une stratégie payante à court terme (qui le semble bien moins aujourd’hui), mais dont on pouvait déjà douter de la réalité profonde dès la lecture du livre-programme d’Emmanuel Macron, comme le rappelle vigoureusement Christophe Le Digol : « Malgré son ambition affichée, l’ouvrage reprend un ensemble de lieux communs déjà largement diffusés dans les médias et chez les libéraux »

(1) Il a dirigé avec Jacques Le Bohec Gauche-droite. Genèse d’un clivage politique (PUF, 2012).

Gauche-droite : la fin d’un clivage ? Sociologie d’une révolution symbolique Christophe Le Digol, éd. Le Bord de l’eau, coll. « 3e culture », 88 pages, 8 euros.

Idées
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