« Samouni Road », de Stefano Savona : Histoire d’un massacre

Dans Samouni Road, Stefano Savona reconstitue un épisode particulièrement tragique de l’offensive israélienne sur Gaza, en 2009.

Denis Sieffert  • 6 novembre 2018 abonné·es
« Samouni Road », de Stefano Savona : Histoire d’un massacre
© photo : jour2fêtre distribution

Une fillette trace avec son pied un cercle sur la terre ocre de Gaza : « Ici, il y avait un sycomore. Il était grand. » Mais il n’y a plus rien. Ni l’arbre géant ni les vivants. Ainsi commence Samouni Road, récit poignant du massacre de toute une famille, anéantie par la mitraille israélienne dans le quartier Zeitoun de Gaza City, en janvier 2009. Le quartier où vivaient les Samouni était réputé tranquille. Pas d’activistes du Hamas, mais des paysans qui travaillaient quelques années auparavant en Israël. Alors pourquoi eux ? « Pourquoi faut-il que l’on souffre tant, nous qui sommes nés ici ? » demande doucement un jeune homme.

L’histoire pourrait être banale dans cette enclave palestinienne régulièrement ciblée par l’armée israélienne. Elle ne l’est jamais parce que le cinéaste italien ­Stefano Savona a choisi un mode narratif original, mêlant aux témoignages une animation crayonnée en noir et blanc qui reconstitue la trame de l’histoire avec un réalisme austère. On pense bien sûr à Valse avec Bachir. Mais Savona a également utilisé des films infrarouges d’origine israélienne. On y voit le curseur des drones poursuivre des cibles humaines impossibles à identifier. Et on entend les ordres de tir. C’est le seul et fragile moment d’humanité, du côté des assaillants, quand une voix s’écrie : « Ce sont des enfants, commandant, je ne tire pas… »

L’histoire ne dit rien de la suite. Pour le reste, les événements de ce 5 janvier 2009 laissent peu de place à l’espoir. Le vacarme des avions de chasse et le moteur pétaradant des hélicoptères précèdent les sommations à sortir du refuge. « Laissez-nous sortir au nom du Coran et de la Torah ! », s’écrie un fils. On voit un homme, le père, sortant de chez lui bras levés, abattu de sang-froid devant ses enfants. Et d’autres silhouettes qui tombent les unes après les autres sous le feu des fusils Uzi. La fatalité se lit dans le regard d’Amal, la fillette, qui se souvient. Un bref instant, la gamine cache ses yeux sous son serre-tête, pour un chagrin sans larmes.

Il y a paradoxalement quelque chose d’indestructible dans ce deuil quand tout est anéanti, les humains, les maisons, les cultures. L’âme d’un peuple sans doute. Le film de Savona rend compte de l’omniprésence de la terre dans la réalité palestinienne : « Ils ont détruit les arbres de nos ancêtres. […] On n’a plus ni père ni blés. » Les Israéliens n’ignorent pas cet enjeu tellurique. Arracher un arbre est aussi un but de guerre. Le lendemain, ce sont d’inévitables querelles de cadastre dans un champ de ruines. Les hommes cherchent au milieu des gravats l’emplacement de leurs maisons. C’est un constat de désolation : il n’y a plus d’eau, plus d’électricité. La politique, omniprésente en filigrane, n’est pas explicitement le propos du cinéaste. Elle perce discrètement dans les conversations : « Le Hamas et le Fatah, avec leurs problèmes, ne nous aident pas […], c’est la division qui aide les Israéliens. » Elle resurgit dans la dernière séquence. Nous sommes un an plus tard quand se prépare le mariage d’un fils : « Je ne veux pas de fête islamique », dit le marié. À cet instant, les larmes jaillissent. Ce sont des larmes de joie.

Présenté à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs, Samouni Road a remporté l’Œil d’or du meilleur documentaire. Ce qui lui a valu déjà de nombreux articles, presque toujours élogieux. Étrangement, le critique du Monde a reproché le caractère « univoque » des animations, quand la mort est montrée. Fallait-il, pour plaire à tout le monde, suggérer que les torts sont partagés ? La complexité ne peut pas être dans cette guerre asymétrique. Elle est à tout instant dans la pudeur des personnages et leur façon intime de dominer la colère. Ce n’est plus alors le conflit israélo-palestinien, mais la lutte de la vie contre la mort.

Samouni Road, Stefano Savona, 2 h 08.

Cinéma
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