Sentinelle du climat

L’huître est sensible à plusieurs facteurs liés au réchauffement. Certaines espèces vont certainement disparaître.

Vanina Delmas  • 28 novembre 2018 abonné·es
Sentinelle du climat
© photo : Annie Castaldo et sa mère, ostréicultrices à Marseillan. crédit : vanina delmas

L’huître peuple les eaux bordant la France depuis des siècles : l’huître plate traversait la Gaule pour remplir les assiettes romaines dans l’Antiquité. Elle a donc vu et participé à l’évolution du littoral, que ce soit sur la côte Atlantique, en Normandie ou en Méditerranée. Mais, depuis le XXe siècle, les perturbations se succèdent.

À lire aussi >> Coquillages à l’étouffée

Dans les années 1970, l’huître portugaise – importée pour combler les manques en huîtres plates – succombe à un virus dont la cause reste inconnue. L’intervention humaine permet de continuer la culture ostréicole grâce à la creuse du Pacifique. « Les chercheurs de l’époque décident de l’introduire dans le bassin d’Arcachon et de Marennes-Oléron, car ils étaient certains, selon ses besoins thermiques, qu’elle ne dépasserait jamais le nord de la Loire, raconte Stéphane Pouvreau, biologiste à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Mais nous avons récemment montré que le réchauffement des eaux au fil des années a permis à l’huître de s’implanter progressivement plus au nord, jusque sur les côtes norvégiennes, où désormais elle se reproduit naturellement ! » Un effet plutôt favorable du réchauffement climatique pour éviter la disparition de cette espèce qui se reproduit l’été. Mais, depuis une dizaine d’années, le taux de mortalité des naissains (larves) d’huîtres s’est accru : supérieur en moyenne à 50 %, avec un maximum atteint en 2011 (75 %).

Si sa capacité de résistance aux changements climatiques se révèle assez importante, l’huître a quand même des besoins bien définis pour survivre : une eau inférieure à 30 °C, un pH de 8, une salinité normale, du phytoplancton pour se nourrir et une biodiversité marine riche servant de barrière naturelle face au manque d’oxygène et aux maladies. « En tant qu’espèce fixée, l’huître est un précieux indicateur des changements climatiques, au point d’être une victime localement, notamment dans l’étang de Thau, où la température a atteint 29,5 °C cet été et approche de la limite physiologique de l’espèce. Nous n’aurions pas imaginé cela il y a dix ans », concède le scientifique de l’Ifremer.

Le dioxyde de carbone (CO2) absorbé réchauffe les eaux et les rend plus acides. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) prévoit une augmentation de l’acidité des océans, le pH pouvant descendre à 7,8 à l’horizon 2100 (actuellement à 8,1). Or, plus l’eau est acide, plus les mollusques ont de difficultés à fabriquer leur coquille, notamment au moment de leur phase larvaire, ce qui les rend plus vulnérables. « Nous n’avons pas encore constaté de problèmes de calcification dans les milieux côtiers pour cette espèce et, le cycle de vie de l’huître étant court, une adaptation génétique pourrait se produire d’ici à cent ans, relativise Stéphane Pouvreau. Mais c’est là que les biologistes sont désarmés, car ils ont besoin d’années pour démontrer les capacités d’adaptation génétique d’une espèce donnée. »

Si les scientifiques restent prudents, les effets du réchauffement climatique sont de plus en plus visibles et mettent en péril les pièces du « kit de survie de l’huître », notamment le phytoplancton. Les espèces de phytoplancton les plus tempérées remontent de plus en plus vers le nord et certaines disparaîtront totalement selon les latitudes : l’huître risque de ne plus trouver la bonne quantité et qualité de nourriture au moment opportun. Des réactions en chaîne potentiellement dévastatrices pour l’huître mais aussi pour tout l’écosystème marin, car l’huître est une « espèce ingénieure », permettant la construction de récifs, d’habitats naturels pour d’autres espèces, et de faire revivre un milieu dégradé. Une espèce vitale.

Écologie
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

D’eau et de colère
Portfolio 24 juillet 2024 abonné·es

D’eau et de colère

Les 19 et 20 juillet, les militants des Soulèvements de la Terre ont manifesté à côté de Poitiers et à La Rochelle pour exiger un moratoire sur les mégabassines. Reportage photo.
Par Maxime Sirvins
Nicolas, pêcheur de Loire : une espèce en voie de disparition
Portrait 24 juillet 2024 abonné·es

Nicolas, pêcheur de Loire : une espèce en voie de disparition

Sur le plus long fleuve de France, ils ne sont plus qu’une soixantaine à exercer leur métier. Une activité qui fait figure d’artisanat en comparaison de la pêche en mer. Rencontre avec un passionné attentif à son environnement.
Par Mathilde Doiezie
De Poitiers à La Rochelle, une lutte contre les mégabassines entre flammes et océan
Reportage 22 juillet 2024

De Poitiers à La Rochelle, une lutte contre les mégabassines entre flammes et océan

Au cours d’une semaine de mobilisation contre les mégabassines, des milliers manifestants se sont rassemblés dans les Deux-Sèvres à l’appel des Soulèvements de la terre et de Bassines Non Merci. Les 19 et 20 juillet, les militants ont manifesté à côté de Poitiers et à La Rochelle pour exiger un moratoire. Récit et photos.
Par Maxime Sirvins
Le lycée agricole de Melle, pépinière du mouvement antibassines
Reportage 15 juillet 2024 abonné·es

Le lycée agricole de Melle, pépinière du mouvement antibassines

L’établissement des Deux-Sèvres voit mûrir au sein de son BTS gestion et protection de la nature une nouvelle génération d’activistes contre l’accaparement de l’eau. Ses élèves aux parcours sinueux trouvent dans ce terroir et son activité militante le déclic d’un engagement durable.
Par Sylvain Lapoix