Et le réel est devenu insupportable
La colère des gilets jaunes révèle la faillite du modèle néolibéral, qu’une masse de personnes a subitement décidé de ne plus accepter.
dans l’hebdo N° 1532-1534 Acheter ce numéro

La France a-t-elle vécu sa première « jacquerie 2.0 » ? Vient-on de voir poindre le début d’un conflit opposant le pouvoir d’achat à l’urgence écologique, ou mettant dos à dos les contribuables français et des ennemis de l’intérieur désignés ? Chacun est tenté de voir midi à sa porte face au surgissement de colère hétéroclite des gilets jaunes. Le gouvernement le premier. Après des semaines d’atermoiements et dans une déconcertante impréparation, il a tenté de réduire le mouvement à une fronde de petits contribuables pressés de percevoir les fruits de la croissance, qui, c’est promis, ruisselleront bientôt.
Seule certitude, cette subite synchronisation des colères a donné une voix à une figure aussi invisible qu’omniprésente dans les discours politiques de tous bords. Un « petit peuple » souvent fantasmé, désormais capable de se faire voir et de s’exprimer de lui-même. Et cette voix nouvelle parle d’injustice. « Subitement, le seuil de tolérance a cessé de s’élever et le réel devient, enfin, insupportable, ce qui pousse les gens à réagir », observe le psychologue Antoine Duarte. Il faudra du temps et du recul pour comprendre le moment gilets jaunes, mais ce spécialiste des résistances à l’Institut de psychodynamique du travail perçoit des dynamiques connues. « Il y a une rupture dans l’ordre du consentement, dans la “servitude volontaire”, qui conduit les gens à dénier ou à justifier tout un tas d’injustices pour pouvoir les