La biodiversité, une question sanitaire

L’effondrement ou la disparition de certaines espèces menacent la découverte de nouveaux traitements, la qualité de la nutrition et la sécurité alimentaire, et pourraient favoriser de nouvelles pathologies.

Emmanuel Drouet  • 19 décembre 2018 abonné·es
La biodiversité, une question sanitaire
© photo : 60 % de la population mondiale a recours à des médicaments traditionnels issus de la nature. Philippe Lissac/GODONG/Leemage/AFP

L’effondrement de la biodiversité est un aspect peu abordé parmi les impacts du changement climatique sur la santé. Indispensable à la vie sur terre, la biodiversité se définit comme la variété de faune et de flore. La modification de celle-ci a déjà des conséquences sur les moyens de subsistance, les revenus, les migrations locales et des conflits politiques. La diversité biophysique des micro-organismes, de la flore et de la faune est une précieuse source de connaissances dans le domaine de la biologie, des sciences médicales et de la pharmacologie. Ainsi, les grandes découvertes médicales et pharmacologiques (concernant les cancers ou les maladies infectieuses) ont été possibles grâce à une meilleure compréhension de la biodiversité sur terre. Par conséquent, sa perte pourrait limiter la découverte de nouveaux traitements. Rappelons que 60 % de la population mondiale a recours à des médicaments traditionnels, qui, dans certains pays, font partie intégrante du système de santé publique.

La biodiversité joue également un rôle essentiel dans la nutrition, dans la mesure où elle assure la productivité durable des sols et fournit les ressources génétiques pour les cultures, les animaux d’élevage et les espèces marines comestibles. Selon l’OMS, son effondrement aura un impact évident sur la qualité et la composition nutritionnelle de chaque aliment (et des variétés ou cultivars d’un même aliment), ce qui aura des répercussions énormes sur la disponibilité des micronutriments dans l’alimentation en général.

Les conditions climatiques ont des conséquences directes et indirectes sur les écosystèmes terrestres et marins. Or, la biodiversité marine dépend de l’acidification des océans, qui est liée à la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. L’acidification des océans entraîne déjà des modifications importantes du microbiome (ou microbiote, représentant la biodiversité des communautés microbiennes individu par individu) chez certains invertébrés comme les éponges. Chez les vertébrés et chez l’homme, les effets des changements climatiques sur les micro-organismes endogènes et environnementaux sont très largement inexplorés. Toutefois, des études ponctuelles sur des vertébrés montrent qu’une augmentation de la température entraîne une diminution de la biodiversité de leur microbiome. Des hypothèses sérieuses identifient la modification du microbiome intestinal humain et l’émergence de dysbioses (comme les maladies inflammatoires de l’intestin, l’obésité, le diabète) en fonction des changements globaux (urbanisation rapide, alimentation « fast-food », vie sédentaire déconnectée des environnements naturels, usage massif d’antibiotiques, stress thermique…). Des diminutions dans la diversité des microbiomes pourraient accroître la sensibilité à certaines pathologies telles que les allergies. Ces effets retard sont encore difficiles à étudier mais incitent à réfléchir. Autre domaine où ils sont importants : l’exposome, ou ensemble des stress environnementaux durant la vie de l’individu, dont les conséquences, comme la survenue d’un cancer, peuvent être bien postérieures à l’exposition.

L’approche One Health (1) dépasse l’anthropocentrisme sanitaire : cette initiative, issue d’une réflexion commune de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est fondée sur le concept de « risques de santé » aux interfaces animal-homme-écosystème. Certains facteurs climatiques importants ont une influence sur les réservoirs d’agents infectieux, communs à l’homme et aux animaux, et sur la transmission des maladies. Cette nouvelle discipline s’appuie sur le fait que certains animaux souffrent d’un grand nombre de maladies bactériennes, virales, parasitaires aiguës ou chroniques (maladies cardiovasculaires, cancer, diabète, asthme, arthrite…) et que certaines de ces maladies peuvent passer de l’animal à l’homme et réciproquement (arboviroses, rage, grippe, tuberculose…).

Des rapports alarmants indiquent que la chute de la biodiversité mettra en danger les économies, les moyens d’existence, la sécurité alimentaire et la qualité de vie des populations. La perte de biodiversité au sein de l’environnement naturel de l’homme aura un coût pour la santé. Il résulte de deux facteurs : d’une part, la disparition de matériel biologique utile à l’homme pour se nourrir et se soigner, et, d’autre part, le dérèglement voire l’effondrement d’écosystèmes fonctionnels entraînant la perte de biens et de services « écosystémiques ».

(1) www.who.int/globalchange/ecosystems/biodiversity/fr

Emmanuel Drouet Microbiologiste à la faculté de pharmacie de Grenoble

Publié dans
Le temps du climat
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