Bolkestein, le retour ?

Une réforme de la directive sur les services donnerait un pouvoir considérable à la Commission européenne dans la libéralisation des services. Le compromis politique n’est pour l’heure pas établi.

Erwan Manac'h  • 16 janvier 2019 abonné·es
Bolkestein, le retour ?
© photo : Le siège de la Commission européenne, à Bruxelles.crédit : Dursun Aydemir/Anadolu Agency/AFP

Le projet de réforme porte le sceau de BusinessEurope, le lobby patronal européen. Insatisfait des résultats de la directive services, dite Bolkestein, il a souhaité muscler la Commission européenne, qui a embrayé en 2015 et initié un projet de réforme aujourd’hui proche d’aboutir. La directive services est la feuille de route d’une dérégulation qui vise à réduire les obstacles à l’activité des multinationales dans l’urbanisme, le logement, l’énergie, l’éducation, la distribution d’eau, de gaz et d’électricité ou la gestion des déchets. Les services publics en sont exclus, mais cette dérégulation générale a pour effet de limiter à la portion congrue les derniers services non marchands. Elle percute également un besoin encore prégnant de protection, incarné par des collectivités qui édictent des règles destinées à organiser leur économie locale (taille et forme juridique des entreprises autorisées à s’implanter, origine géographique, prix pratiqués). « Il est encore difficile de dire quelles conséquences précises la directive a eues ou aura dans tel ou tel secteur, analyse l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO), dans une note sur ce projet de réforme (1). C’est un acte extrêmement complexe, truffé d’articles qui requièrent des formes d’évaluation de tout cas particulier. »

La Commission européenne agit surtout trop lentement aux yeux du lobby patronal européen. Afin d’accélérer le mouvement, elle a proposé que toute nouvelle disposition concernant les services, émanant d’un État ou d’une collectivité locale, lui soit impérativement notifiée trois mois avant d’être adoptée. Un laps de temps qui lui permettra de formuler sa propre interprétation du texte et d’émettre une « alerte » si elle estime que la directive services est transgressée. « Une prise de pouvoir claire par la Commission », dénonce CEO. Plus encore, il est question que la Commission soit dotée d’un droit de veto l’autorisant à débouter un projet de réglementation s’il n’intègre pas dans une version corrigée d’éventuelles suggestions qu’elle aurait formulées.

Une levée de boucliers est venue fin 2018 du réseau des villes qui tentent de développer des politiques alternatives, se reconnaissant dans le mouvement « municipaliste ». Elles se sont élevées contre le projet dans une lettre ouverte qui comptabilisait 160 signatures d’ONG, de syndicats et de maires dans la seconde version envoyée le 14 janvier à la présidence de l’Union européenne. Elles craignent par exemple de ne pas pouvoir réguler l’activité d’Airbnb ou planifier l’installation des commerces pour favoriser, par exemple, les boutiques de proximité sur la grande distribution.

Ce texte, négocié par les trois organes dirigeants européens (Parlement, Commission, Conseil), essuie de nombreuses critiques en Europe et a été tancé par les deux chambres des Parlements français et allemand, le Bundesrat autrichien et le Sénat italien. Les discussions ne sont pas abandonnées pour autant, même si elles ont achoppé dans les derniers jours de la présidence autrichienne, en décembre. « La présidence roumaine fera [au premier semestre 2019] une dernière tentative pour amener les États membres de l’UE à une position commune avant les élections au Parlement européen », estime Olivier Hoedeman, coordinateur de CEO. L’ONG, qui surveille le lobbying à l’échelle européenne et suit ce dossier complexe, juge néanmoins le sujet suffisamment sérieux pour qu’il figure parmi les priorités de la société civile dans les mois qui viennent. Elle compte sur le contexte électoral pour faire définitivement enterrer ce projet de réforme, qui risque, selon elle, d’« altérer fondamentalement la démocratie locale et la participation citoyenne à travers l’UE ».

(1) « Bolkestein est de retour : la prise de pouvoir de la Commission européenne sur les services », 11 décembre 2018, corporateeurope.org

Économie Société
Publié dans le dossier
Services publics : L’Europe a bon dos
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