Le paradoxe de Netanyahou

L’historien Jean-Pierre Filiu analyse la politique de régression démocratique du Premier ministre israélien et ses effets pervers.

Denis Sieffert  • 9 janvier 2019 abonné·es
Le paradoxe de Netanyahou
© Brendan Smialowski/AFP

S’il conserve, comme c’est probable, une majorité lors des élections générales anticipées du 9 avril, Benyamin Netanyahou battra le record de longévité politique du père de l’État d’Israël, David Ben Gourion, et, accessoirement, échappera aux affaires de corruption qui le fragilisent. Mais il pourrait alors se heurter aux limites de l’impasse qu’il a lui-même créée en quatre mandats de Premier ministre.

C’est un processus de « régression démocratique » que Jean-Pierre Filiu analyse au long d’une enquête très documentée qui retrace l’itinéraire de « Bibi », comme l’appellent les Israéliens. Fils d’un dirigeant de l’Irgoun, organisation sioniste terroriste, il est l’héritier politique de Zeev Jabotinsky (1880-1940), le fondateur du courant révisionniste du sionisme, l’homme qui rêvait d’absorber la Transjordanie (l’actuelle Jordanie) dans le grand Israël. Cela suffirait à expliquer la pugnacité avec laquelle Netanyahou a torpillé toutes les initiatives de paix depuis Oslo, en 1993, et la campagne de haine qu’il a orchestrée contre Yitzhak Rabin, avec le résultat que l’on sait, et jusqu’à liquider la solution à deux États. Le voilà aujourd’hui otage consentant des colons les plus extrémistes. Mais, comme le montre Filiu, la singularité de Netanyahou, d’ailleurs également héritée de son père, réside dans ses liens avec les fondamentalistes chrétiens américains. C’est dans ce puissant lobby, plus que dans la communauté juive, qu’il trouve aujourd’hui un indéfectible soutien. La victoire de Trump est son apothéose.

Il a pu verrouiller toutes les issues à la négociation en imposant l’ultime condition exigée des Palestiniens : la reconnaissance d’Israël comme « État nation du peuple juif ». Condition évidemment inacceptable pour les quelque 20 % d’Arabes israéliens. Le paradoxe de Netanyahou, qui est au cœur de la démonstration de Filiu, c’est qu’il a rompu avec une grande partie des diasporas juives et qu’il risque, pour finir, de ruiner le rêve sioniste dont il se réclame. Filiu cite le propos édifiant de Ronald Lauder, président du Congrès juif mondial, qui s’inquiète « des blessures qu’Israël s’inflige à lui-même » et redoute les conséquences de l’abandon de la solution à deux États : « Si les tendances actuelles se poursuivent, Israël fera face à ce choix terrible, soit accorder la plénitude de leurs droits aux Palestiniens et cesser d’être un État juif, soit dénier ces droits et cesser d’être un État démocratique. » La logique de Netanyahou, ami d’Orban et de Bolsonaro, mène tout droit à la seconde hypothèse. Pour Jean-Pierre Filiu, il est donc urgent qu’Israël renoue avec les Palestiniens. Mais il y a à cela deux conditions qui n’en font peut-être qu’une : une défaite de Netanyahou et l’émergence, en Israël, d’un partenaire « capable d’oser l’espoir ». Un partenaire « de gauche », qu’aujourd’hui on cherche en vain.

Main basse sur Israël. Netanyahou et la fin du rêve sioniste Jean-Pierre Filiu, La Découverte, 224 pages, 16 euros.

Idées
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