Cohésion sociale : réparer ou transformer ?

Le territoire de Plaine Commune, en Seine-Saint-Denis, est emblématique du rôle innovant et dynamisant de l’ESS dans les quartiers les moins favorisés.

Patrick Vassallo  • 14 février 2019 abonné·es
Cohésion sociale : réparer ou transformer ?
© photo : Construction de l’armature en bois d’un éco-bâtiment à Montreuil (93). crédit : ERIC PIERMONT/afp

Une large part des structures de l’ESS sont nées dans les sillons de la politique de la ville, des « quartiers en difficulté », de la rénovation urbaine, bref, d’un besoin de « cohésion sociale ». L’établissement public territorial Plaine Commune (regroupant les neuf communes de l’arrondissement de Saint-Denis) en est un exemple. Sa croissance démographique témoigne de son dynamisme. Selon l’Insee, le nombre d’habitants a crû d’1,2 % en moyenne par an entre 2006 et 2011, contre 0,5 % à l’échelle régionale. La population est jeune : en 2011, les moins de 30 ans représentaient plus de 45 % de la population. Autre atout de taille, la diversité de la population : 30 % des habitants sont de nationalité étrangère, ce qui confirme la tradition d’accueil de Plaine Commune, où cohabitent plus de 130 nationalités.

En parallèle, Plaine Commune a vu sa vitalité économique se déployer largement. La croissance annuelle du nombre d’emplois s’est élevée à 6 % entre 2006 et 2011, contre 0,5 % en Île-de-France. Et la vocation universitaire de ce territoire constitue un atout supplémentaire. Mais sa trajectoire ascendante n’a qu’insuffisamment bénéficié aux habitants. Si des actions en matière de politique de la ville ont été réalisées, principalement en rénovation urbaine, des efforts restent à poursuivre dans le champ de la cohésion sociale.

De fait, la dynamique de rénovation urbaine de Plaine Commune est importante : en 2014, plus de 40 % du territoire a fait l’objet de projets d’aménagement, dont les 24 portés par l’Anru (1) constituent la colonne vertébrale. Le contrat territorial de rénovation urbaine (CTRU) représente un investissement financier d’1,6 milliard d’euros assumé par les collectivités, l’État et les bailleurs sociaux.

En accompagnement de ce processus, les acteurs de la politique de la ville ont mené neuf contrats urbains de cohésion sociale (Cucs) communaux et le Cucs communautaire.

Proximité

Mais, dans un contexte où 70 % de la population relève de la « politique de la ville » (soit 260 000 habitants), on observe une persistance de la précarité sociale, un tissu urbain très marqué par les grands ensembles collectifs et d’importantes concentrations d’habitat dégradé, une inadéquation croissante entre offre et demande d’emploi sur le territoire, un phénomène de décrochage scolaire important et, plus généralement, un ressenti ambivalent des habitants vis-à-vis de leur territoire, entre attachement fort et sentiment de relégation et d’insécurité.

On compte à Plaine Commune 30 000 emplois de plus qu’il y a dix ans. Cette augmentation a bénéficié avant tout au secteur tertiaire et au BTP. De manière générale, la population active de ce territoire est vulnérable face à l’emploi. Il n’y a pas assez d’offres de formation. Pour une large part, les cultures professionnelles de ces nouveaux emplois sont dissonantes avec les cultures et savoir-faire vernaculaires.

L’ESS est très présente sur le territoire : elle y est le premier créateur d’emplois et « pèse » aujourd’hui près de 800 entreprises, associations comprises, et 9 000 salariés.

Au-delà de Plaine Commune, avec ses particularités, les travaux portés notamment par le Réseau des collectivités territoriales pour une économie solidaire (RTES) indiquent l’importance de la mobilisation de l’ESS au niveau national, au regard de la cohésion sociale. Dans ces quartiers comme en milieu rural, l’ESS répond par l’innovation à des besoins sociaux et territoriaux de proximité. Elle porte l’ambition d’activités intimement liées aux compétences et aux savoir-faire des « experts du quotidien », des activités que le secteur « classique » ne veut pas développer, des entreprises soutenues par le besoin de « respectabilité sociale » du capitalisme et des entreprises locales plutôt alternatives.

À une vision lointaine, complexe et désincarnée de l’économie, à la marchandisation galopante, l’ESS oppose une réalité locale, concrète et équitable. Elle est durablement ancrée dans les territoires et le quotidien. Protection de l’environnement, santé, banque, sport, assurance, tourisme, enseignement, aide à domicile, numérique, culture… Quasiment tous les secteurs d’activité sont présents au sein de l’ESS. Toutes ces activités produisent du commun, du lien social, en particulier dans ces quartiers populaires, et l’ESS permet de répondre à des désirs individuels de travailler autrement.

Priorité à l’humain

Quelques progrès sont possibles et souhaitables : améliorer la connaissance de l’ESS dans les quartiers prioritaires pour agir plus et mieux ; créer de l’activité dans les quartiers par un « choc coopératif » et le développement des clauses d’insertion ; améliorer l’écothermie des logements, qui ne suffit pas si nous ne modifions pas avec les intéressés le contenu, « l’âme » de leur habitat ; soutenir la généralisation des clauses d’insertion à tous les marchés publics, notamment ceux mis en œuvre dans le cadre d’opérations de renouvellement urbain ; favoriser l’accès des jeunes des quartiers en difficulté aux emplois de l’ESS ; développer l’entrepreneuriat et l’innovation sociale dans ces quartiers ; consolider et soutenir l’émergence de pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV).

Comme élus, nous avons un devoir de réparation, une obligation d’engagement social ! Les acteurs et actrices de l’ESS sont historiquement engagés dans les quartiers, souvent innovants et fortement adaptés aux spécificités territoriales, en particulier des QPV. Le délitement social ainsi que l’ultra-précarisation du travail et de l’emploi appellent à valoriser l’ESS comme levier prioritaire du développement social et économique dans les territoires les plus en difficulté.

Les travaux menés par le RTES avec l’appui du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), en 2015 et 2016, sur les liens entre les politiques publiques de l’ESS et de la Ville ont conduit à une rencontre en décembre 2015 à Plaine Commune et à la publication du guide Politique de la ville et ESS. Initiatives, analyses et éclairages (2). Il en ressort clairement que la construction dans un quartier ou un pays rural d’un « équilibre » entre activités, habitats et équipements est stimulé par la vivacité d’activités de l’ESS qui animent le lieu, solidarisent les habitants et apportent « de la vie ». Parce que l’ESS ne peut persister sans cet ancrage territorial et humain, sa présence est un vrai facteur dynamique. Nous avons besoin d’une inventivité et d’une détermination assumées si nous voulons donner à la cohésion sociale non pas le sens d’une police, mais d’une priorité à l’humain.

(1) Agence nationale pour la rénovation urbaine.

(2) Disponible sur rtes.fr

Patrick Vassallo est adjoint au maire de Saint-Denis, conseiller territorial délégué à Plaine Commune.

Économie
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