Cultiver bien pour manger mieux

Une agriculture durable, c’est aussi une alimentation de qualité pour tous. Les modèles alternatifs sont des ferments d’égalité.

Laurent Terrasson  • 14 février 2019 abonné·es
Cultiver bien pour manger mieux
© photo : Une ferme biologique au Bec-Hellouin (Eure). crédit : CHARLY TRIBALLEAU/AFP

La question de l’alimentation est redevenue un marqueur social et un enjeu politique, qu’il s’agisse d’une exigence de qualité, avec ses implications sanitaires et écologiques, ou de l’accès à une nutrition élémentaire, longtemps perçu comme évident mais remis en cause par la montée des inégalités et de la pauvreté. L’évolution de la production agricole est donc une problématique politique majeure. Les grandes coopératives agricoles poursuivent leur course à la taille, semblant perdre de vue le sens de leur mission et la réalité de la terre. Sans réellement intervenir dans leur conduite, les paysans y sont souvent réduits au vieux système de la fabrique : ils reçoivent d’elles les intrants et leur livrent les produits – ces produits qu’ils disent ne même pas manger si on les interroge. La FNSEA, syndicat majoritaire, cautionne ces évolutions. Le marché et les intérêts financiers des grands groupes, devenus parfois des multinationales, dominent. Au sein de ce système, les dimensions démocratiques et sociales, et la promotion d’une agriculture durable, y trouvent mal leur compte, malgré les efforts actuels de Coop de France.

D’autres paysans cherchent à se réapproprier les vertus coopératives. Les Cuma (coopératives d’utilisation de matériel agricole) constituent des lieux de pratiques solidaires dans le respect de l’autonomie de chacun. Davantage encore, les productions bio ou raisonnées, la distribution en circuits de ­proximité et les solidarités territoriales, voire internationales, se constituent en systèmes coopératifs vertueux. On connaît les Amap (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), qui créent un nouveau lien de confiance et de fidélité entre consommateurs urbains et producteurs ruraux. Elles sont l’image d’un renouveau, mais elles ne sont pas les seules. Ainsi, les Fermes de Figeac sont un exemple de coopérative de territoire. Elles se donnent pour but – et c’est presque un manifeste – de « contribuer dans la durée à la promotion d’une agriculture plurielle, gestionnaire du vivant, à haute valeur ajoutée, innovante et ouverte aux autres, au service de tous ». De fait, rassemblant des structures multiples d’approvisionnement, de production mais aussi de vente, elles ont amplement participé à la revitalisation du nord-est du Lot.

C’est sous la forme de sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) que les groupements régionaux de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab) ont créé des structures pour commercialiser leurs produits. Des coopératives de distribution s’implantent en milieu urbain, comme Biocoop. La coopérative Biocer, en Normandie, travaille et distribue des semences de céréales biologiques, mais étend son activité aux farines et à d’autres produits tels que les oléagineux. Favorisant le commerce équitable et les produits bio, de nouvelles coopératives de consommateurs voient le jour, renouant avec la tradition des « Coop », qui rassemblèrent sous cette enseigne des millions de personnes avant de disparaître dans les années 1980. Tandis que des coopératives de patrons commerçants comme Leclerc ou Système U trouvaient, elles, leur compte dans la grande distribution. Les pionniers du commerce équitable ont adopté la forme associative (Minga, Artisans du monde…) ou coopérative (Andines, Ethicable…). Ce sont de telles structures qui portent les expérimentations d’agriculture urbaine.

C’est tout un autre monde que préfigurent ces initiatives paysannes et citoyennes. C’est une autre agriculture, différente d’un modèle unique productiviste. C’est une autre alimentation que celle imposée par l’industrie, l’hégémonie états-unienne, l’uniformisation et la rationalisation. C’est une autre conception des approvisionnements que celle des géants de la distribution.

Pour l’heure, ce sont hélas les options dangereuses du vieux monde que défend l’Europe et que notre gouvernement accepte : maintien du glyphosate, recul sur le signalement de la composition des produits, refus d’un engagement ferme vis-à-vis des perturbateurs endocriniens, des produits saturés en sucre, en graisses et en sel. La malbouffe, largement aggravée par la pauvreté, n’est pas qu’une question de goût, elle devient un outil de prédation majeur et l’on considère qu’elle est la cause première du recul de l’espérance de vie aux États-Unis. Les questions agricoles, de production, de transformation et de distribution sont en conséquence des enjeux majeurs qui exigent une mobilisation citoyenne.

Laurent Terrasson est directeur de L’Autre Cuisine.

Économie
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