Derrière le paravent du grand débat…

Alors que les médias sont focalisés sur les prestations du président de la République et de ses ministres dans les réunions publiques, le travail de sape des services publics continue.

Michel Soudais  • 20 février 2019 abonné·es
Derrière le paravent du grand débat…
© photo : le 7 février à Étang-sur-Arroux. crédit : Ludovic MARIN / AFP

Le « grand débat » voulu par Emmanuel Macron ne serait-il qu’une diversion ? Un mois après son lancement, les partis d’opposition accusent de concert le président de la République de mener « une campagne électorale déguisée » à l’approche des élections européennes. La multiplication des réunions publiques présente pour l’exécutif un autre avantage. Pendant que les chaînes d’info et les JT braquent les projecteurs sur les prestations du chef de l’État et de ses ministres face à des publics plus ou moins choisis, suscitant moult commentaires émerveillés sur l’image de ce jeune Président qui ne craint pas de tomber la veste, le gouvernement poursuit son œuvre transformatrice à marche forcée, dans une relative indifférence médiatique.

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Le grand débat était censé répondre au sentiment d’abandon exprimé par le mouvement des gilets jaunes ? Les fermetures de services publics ne marquent aucune pause. En visite à Bernay (Eure) le 18 février, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a confirmé l’arrêt de la maternité de cette ville de 10 400 habitants ; les accouchements auront lieu à Lisieux ou à Évreux, respectivement à 30 et 50 minutes de Bernay. Le 14 février, Emmanuel Macron, interpellé par la maire PS du Blanc (Indre), avait tout aussi catégoriquement refusé la réouverture de la maternité de cette commune. « On ne répliquera pas ce qu’il y avait avant », lui a-t-il lancé. Un refus qui n’est pas sans rappeler celui de revenir sur la suppression de l’ISF.

Pour ces deux sites, l’exécutif nie agir pour des raisons économiques ; il invoque un nombre d’actes insuffisant et une « fragilité » des gardes. Ce n’est pas le cas de la maternité de Creil (Oise), transférée le 28 janvier à Senlis, à 12 kilomètres, en dépit d’une forte mobilisation des élus locaux, du personnel et des usagers, qui n’a pas manqué de souligner que le bassin de Creil (85 000 habitants) abrite cinq « quartiers prioritaires » et une population qui à 40 % n’est pas véhiculée. Or c’est la première fois qu’une maternité de niveau 3 (équipée d’un service de réanimation néonatale) réalisant plus de 1 500 accouchements par an est fermée.

Des fermetures de services et de lits hospitaliers découleront encore inévitablement des regroupements et fusions du projet de loi sur la santé publique présenté le 13 février en conseil des ministres. Parmi d’autres mesures, comme la réforme des études de santé ou la régularisation de la situation des praticiens étrangers, il habilite en effet le gouvernement à réviser en profondeur la carte hospitalière par ordonnances selon trois niveaux : des hôpitaux d’excellence pratiquant une médecine de pointe ; des hôpitaux de recours avec chirurgie et obstétrique ; des « hôpitaux de proximité » recentrés sur la médecine générale, la gériatrie et la rééducation, avec un peu de radiologie et de biologie, mais sans chirurgie ni maternité. Le gouvernement souhaite labelliser « hôpital de proximité » 500 à 600 établissements d’ici à 2022 – 243 établissements le sont déjà –, sans créer de nouveaux hôpitaux.

Côté Éducation nationale, des raisons budgétaires dictent aussi les importantes réductions horaires et les fermeture de classes que découvrent en ce moment personnel éducatif et parents d’élèves. Le département de Seine-et-Marne, en plein boom démographique, perdrait ainsi près de 130 classes de primaires à la rentrée 2019. La préoccupation économique n’est pas non plus absente du projet de loi « pour une école de la confiance » (sic) adopté mardi en première lecture à l’Assemblée. En témoigne, notamment, l’amendement « AC 501 » : déposé sans prévenir par une députée LREM du Val-d’Oise avec le soutien de Jean-Michel Blanquer et adopté nuitamment dans un hémicycle clairsemé, il permet de créer des « établissements publics des savoirs fondamentaux », qui regrouperaient « les classes d’un collège et d’une ou plusieurs écoles situées dans le même bassin de vie ». Cette mesure ouvre la voie à une réduction du nombre de directeurs d’école, permettant ainsi une économie d’échelle sans qu’un projet éducatif soit exigé pour ces regroupements.

Mais c’est sans doute à travers la loi Pacte, dont le parcours parlementaire se poursuit, et le projet de loi de la « transformation de la fonction publique » présenté la semaine dernière (lire ci-contre), juste avant qu’Édouard Philippe se déclare favorable à la mise en place de « contreparties » aux aides sociales, que l’on mesure mieux l’obstination du gouvernement à appliquer la même philosophie ultralibérale. Une philosophie que le grand débat national, avec son apparence démocratique, masque trop.

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