Les associations, écoles de la citoyenneté
Avec presque deux millions de salariés, le monde associatif, très dynamique, offre un modèle d’organisation collective et démocratique.
La France compte 1,5 million d’associations qui mobilisent 22 millions de bénévoles et emploient 1,8 million de salariés. Elles assurent 4 % du PIB et pèsent 110 milliards d’euros de budget. La dynamique associative ne décline pas, au contraire. Le désir d’engagement des citoyens pour des causes d’intérêt général continue de croître. Face au besoin de lieux de socialisation et d’action collective, le fait associatif émerge comme une force et comme une réponse à une demande citoyenne accrue. La crise des « gilets jaunes » a exprimé aussi cette soif d’associativité ressentie par des citoyens de plus en plus isolés socialement et territorialement.
Les grands lieux de socialisation qu’étaient au XXe siècle les partis politiques ou les syndicats remplissent beaucoup moins cette fonction aujourd’hui. Les citoyens repensent leur connexion avec les autres de façon plus horizontale. La perte de confiance dans le pouvoir du vote ou du dialogue social pousse de plus en plus à l’engagement direct. Cette évolution interroge même les formes les plus instituées de nos associations dans leur capacité à renouer avec le fait associatif et à revitaliser en leur sein propre le sens de l’engagement collectif et démocratique ; elle invite au renouvellement des formes d’action et du partage des responsabilités. Si les acteurs associatifs s’interrogent de plus en plus sur leurs modèles, c’est confiants dans l’actualité et la grande modernité du fait associatif qu’ils doivent le faire, c’est-à-dire dans sa capacité unique à refaire « lien et société » dans des environnements où l’individualisation et la compétition demeurent les formes les plus promues pour distinguer échecs et réussites dans la vie.
Aussi le mouvement associatif constitue-t-il une force vitale pour le pays. Parce qu’il permet de recréer ou de maintenir des liens sociaux et qu’il constitue un tissu de résilience dont notre société bénéficie dans toutes ses dimensions et dont on voit l’utilité dans les moments où elle est violemment secouée. Les associations sont le premier employeur dans plusieurs départements de France, et elles assurent aussi les derniers recours là où le service public a disparu.
Que ce soit dans l’aide aux personnes âgées, la lutte contre l’isolement social ou la solidarité avec les plus pauvres, dans les services aux familles et à la petite enfance, les crèches ou les maternités, dans l’aide à la mobilité, l’aide aux parents, l’animation périscolaire ou l’accès aux vacances pour tous, ou encore au sport, c’est le tissu associatif qui est à l’œuvre et qui délivre appui, services et encadrement. Ce sont aussi les milliers de théâtres associatifs et de petites associations culturelles, dont l’action est essentielle pour permettre à mille créations et créateurs d’émerger, et pour nourrir surtout une forme de démocratie culturelle qui est le creuset d’une société éclairée et vivante.
Si le monde associatif est celui de l’action, du « faire ensemble », de l’innovation sociale pour apporter des solutions quotidiennes à tous, il est aussi le lieu de l’engagement citoyen pour des causes d’intérêt général et la défense des droits. C’est enfin et surtout une école de l’émancipation incontournable pour toute société qui veut nourrir et soutenir une ambition démocratique forte. Tout recul démocratique dans le monde commence par une attaque contre le droit d’association.
Un mot enfin sur la question statutaire qui fait couler tant d’encre. Si « statut n’est pas vertu », comme on l’entend souvent, et comme cela est en partie vrai, faire le choix de se constituer en association (comme en mutualité ou en coopération) ne peut être neutre. C’est faire le choix d’une organisation et d’une forme d’entrepreneuriat qui mettent au cœur de leur modèle la démocratie, la gestion désintéressée, la non-lucrativité, le principe du projet collectif, d’une propriété collective incessible. Ces organisations qui appartiennent à tous leurs adhérents, et qui ne peuvent être cédées pour enrichir une partie de leurs membres, participent d’une organisation nécessairement différente de l’économie comprise en tant qu’« art d’organisation de la maison ». Cette démarche produit du sens, diffuse d’autres messages dans la société, et demeurera donc nécessairement différente de toute forme capitalistique d’entrepreneuriat, même fortement soucieuse de ses impacts sociaux et environnementaux.
Philippe Jahshan est président du Mouvement associatif.