« Scop-Ti donne l’exemple d’un autre modèle »

La coopérative fondée par les salariés de Fralib devrait être bénéficiaire en 2020. Les explications d’Olivier Leberquier.

François Longérinas  • 14 février 2019 abonné·es
« Scop-Ti donne l’exemple d’un autre modèle »
© photo : Le taux de pénétration sur le marché de la gamme 1336 est jugé exceptionnel. crédit : BORIS HORVAT/AFP

En 2010, le géant Unilever décide de délocaliser en Pologne sa production d’infusions de l’usine Fralib, à Gémenos, près de ­Marseille. Après 1336 jours de luttes, en 2014, un groupe de salariés parvient à reprendre l’entreprise en Scop. En dépit de difficultés, l’affaire tourne, privilégiant la qualité et les circuits courts.

Quatre ans et demi après la reprise, où en êtes-vous en termes d’activité ?

Olivier Leberquier : Nos adversaires de classe pensaient – et espéraient – que nous serions morts au bout de deux ou trois ans. Ce n’est pas le cas ! Nous sommes aujourd’hui 41 salariés, tous coopérateurs. L’activité progresse. En 2017, nous avons passé le cap des 3 millions d’euros de chiffre d’affaires. La progression a été plus modeste en 2018, mais de nouveaux contrats verront le jour en 2019. Nous avons développé une offre de services de production à des acteurs comme Super U, Leclerc ou Intermarché : cela représente 80 % de notre activité. Nous en avons besoin pour faire tourner l’entreprise.

Tous les experts de la distribution s’accordent à dire que le taux de pénétration sur le marché de notre gamme 1336 est exceptionnel. Cependant, c’est insuffisant pour être serein, car notre besoin de trésorerie se situe entre 1,5 million et 2 millions d’euros, et nous n’y sommes pas. Nous avons lancé une campagne de sociofinancement en juillet 2017 qui est toujours ouverte. Avec plus de 2 300 contributeurs, elle a recueilli 279 000 euros. Cela nous a permis, notamment, de financer la relance de la gamme et les nouvelles références. Je suis optimiste sur la pérennité de notre Scop. Nous devrions être bénéficiaires en 2020. Mais, à tout moment, la trésorerie peut manquer…

Les banques, notamment celles de l’ESS, vous soutiennent-elles ?

Le Crédit mutuel joue un peu plus le jeu que le Crédit coopératif. Entre ce que nous avions réussi à obtenir d’Unilever et le capital versé par les coopérateurs, nous arrivions à un total de 3 millions d’euros. En juillet 2014, cela n’a pas paru compliqué au Crédit coop’ de nous accueillir. En quelques minutes, l’argent était sur le compte ! Fin 2015, la trésorerie a fondu, notamment parce que des adaptations étaient nécessaires sur nos machines. Nous avions besoin de 400 000 euros de plus. Le conseiller de l’agence du Crédit coopératif a monté un dossier, mais les dirigeants régionaux ont mis fin au processus. Finalement, grâce à la garantie de la Banque publique d’investissement (BPI) et à un accord du Crédit mutuel pour 200 000 euros, le Crédit coopératif a fini par engager la même somme. Mais, quand on a essayé de les solliciter de nouveau en 2017, ils ont bloqué immédiatement. Au bout du compte, on constate que ce sont des technocrates obéissant uniquement à des règles financières.

La BPI pourrait aussi nous prêter de l’argent. Quand on voit que des millions d’euros partent pour l’EPR de Flamanville et qu’elle refuse quelques centaines de milliers d’euros à notre coopérative, on ne peut qu’être ­scandalisé !

Avez-vous d’autres partenaires, au-delà de la grande distribution ?

Nous sommes surtout très fiers d’une alliance entre trois coopératives : la Sicarappam, regroupant des cultivateurs et des cueilleurs de plantes aromatiques, Ethiquable, qui commercialise, et nous, Scop-Ti.

Quel est votre mode de fonctionnement depuis la création de la Scop ?

Pendant le conflit, on a vécu ensemble 24 heures sur 24. On occupait l’usine, on ­faisait des assemblées générales chaque semaine. Une fois sortis du conflit, on a remis l’entreprise en route et on a pris le temps qu’il fallait pour discuter. Par exemple, on a mis neuf mois pour décider de notre politique salariale. Et puis, à l’été 2015, il a fallu commencer à produire et continuer à faire vivre la démocratie.

Cette année, nous avons élu un nouveau conseil d’administration, avec un renouvellement de quatre personnes sur onze. Nous avons changé de président, puisque le sortant, Gérard Cazorla, a pris sa retraite, tout en restant coopérateur et membre du CA.

Pour nous, ce qui est souverain, c’est l’ensemble des coopérateurs. Ensuite, il y a le CA, qui assure la direction de l’entreprise. Nous avons constitué un comité de pilotage composé de trois personnes en permanence et ouvert à d’autres en fonction des points à l’ordre du jour. Nous avons un mandat pour prendre les décisions à trois ou chacun de son côté. Mais elles sont validées ensuite par l’AG ou le CA.

Parmi les coopérateurs, l’engagement est-il toujours aussi fort ?

Plus de 40 coopérateurs participent aux AG, mais je ne vais pas faire croire à un monde de Bisounours. Il y en a qui ont beaucoup perdu sur le plan familial ou individuel. Aujourd’hui, certains ont bien évolué et sont très engagés. D’autres – une minorité – continuent à venir travailler à Scop-Ti exactement comme ils le faisaient à Fralib… Et certains ne veulent plus s’impliquer parce que « tout le monde ne le fait pas ». Ce sont souvent les mêmes qui pensent que, lorsque nous racontons notre histoire, nous « embellissons la mariée ». Je ne cache pourtant jamais nos difficultés et les relations parfois tendues entre coopérateurs.

Et du côté de l’organisation du travail ?

Nous avons beaucoup développé la polyvalence. Nous sommes très souples sur la question des congés. À chaque fois qu’un collègue rencontre une difficulté, comme la garde des enfants, on se débrouille pour trouver une solution. Il y en a qui ne se rendent pas compte de la chance que nous avons de gérer cela nous-mêmes !

La vie syndicale est-elle toujours aussi animée ?

Oui : plus de 80 % des salariés sont syndiqués. À la CGT. Il n’y a plus la CGC, car celui qui en était le délégué a pris sa retraite. Il est président d’honneur de notre association Fraliberthé… et a adhéré à la CGT à l’issue du conflit. C’est la plus jeune de nos coopératrices, Rim Hidri, qui a repris le flambeau de la fonction de déléguée syndicale. Et nous participons aussi aux débats et aux actions des mouvements sociaux à l’extérieur.

Peut-on, selon vous, considérer les Scop comme des outils de transformation ?

Après la lutte, notre contribution à la transformation de la société tient dans le fait que notre Scop se pérennise, qu’elle puisse rester l’exemple d’un autre modèle économique et social… Cela dit, nous menons ce combat-là dans un système capitaliste, qui n’est pas le meilleur pour s’en sortir ! Dans la lutte, nous avions beaucoup de cartes en main. Aujourd’hui, c’est plus compliqué. La démonstration de notre fonctionnement « sans patron » est acquise. Et même si on disparaît faute de trésorerie, on aura montré que c’était possible.

Olivier Leberquier est directeur général délégué de Scop-Ti.

Économie
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