Europe : « L’urgence de désobéir »

Une vingtaine d’intellectuels engagés dessinent une troisième voie pour l’Europe, afin de rompre avec l’ordolibéralisme sans alimenter le repli nationaliste.

Erwan Manac'h  • 20 mars 2019 abonné·es
Europe : « L’urgence de désobéir »
© photo : Manifestation de gilets jaunes devant le Parlement européen, le 23 février 2019.crédit : AFP

Il y a une gravité particulière, dans l’ouvrage collectif signé par Attac et la Fondation Copernic, à l’approche des élections européennes : entre la tentation du repli nationaliste et le durcissement d’un libéralisme de plus en plus autoritaire, « l’Union européenne est à la croisée des chemins », préviennent les auteurs. Dans ce texte pédagogique en forme d’inventaire, une vingtaine d’économistes et de sociologues iconoclastes examinent comment l’Europe a abandonné, au tournant des années 1990, le principe de solidarité, en faisant de la concurrence entre les États le principal moteur économique du continent.

Ce « carcan » s’impose désormais de manière autoritaire, estiment-ils. Grâce à des couches successives d’« instruments politiques et juridiques pour rendre les politiques néolibérales irréversibles », telle la « règle d’or » interdisant le déficit public. L’Europe glisse ainsi vers « un fédéralisme néolibéral autoritaire », qui tue dans l’œuf toute politique économique alternative et nourrit la résurgence des nationalismes.

Attac et la Fondation Copernic proposent une alternative résolument européenne, mais radicalement opposée au schéma actuel. Elle devra éclore grâce à la construction, « sans attendre », d’« un rapport de force » partout où c’est possible, épousant les nouvelles formes de mobilisation, plus horizontales et collaboratives. Les auteurs soulignent le rôle du Parlement européen, qui n’est pas le « croupion » de Bruxelles mais possède au contraire le pouvoir de bloquer une directive émanant de la Commission. Le bras de fer devra néanmoins être déclenché par des décisions unilatérales à l’échelle d’un pays. Ou à l’échelon municipal par la mise en place d’alternatives concrètes. Pour s’affirmer, le mouvement « municipaliste » – qui a rendez-vous en 2019 avec les électeurs dans son berceau espagnol – doit notamment trouver la bonne dialectique entre les mouvements sociaux et les majorités municipales « amies » qu’ils ont fait élire, défendent les auteurs.

Dans un chapitre plus exigeant, les deux associations répondent aux partisans d’une sortie de l’Union. Un projet « économiquement hasardeux et politiquement aléatoire », qui nous exposerait au risque de l’hyperinflation ou à son principal remède, l’austérité salariale. Elles se montrent sévères avec la monnaie unique, mais jugent néanmoins qu’il faut tenter d’affranchir l’euro de l’emprise des marchés financiers, plutôt que de vouloir retourner au franc. Car, selon elles, c’est à l’échelle continentale que doivent se penser les contre-pouvoirs, face à un capitalisme désormais mondialisé.­

Cette Europe malade du néolibéralisme Attac et Fondation Copernic, Les Liens qui libèrent, 192 pages, 10 euros.

Idées
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