Mineurs isolés étrangers : les tests osseux en question

Le Conseil constitutionnel étudie à partir de ce mardi 12 mars si le fait d’utiliser des tests osseux pour déterminer l’âge des jeunes migrants est conforme à la Constitution. Des associations de soutien aux migrants et des scientifiques dénoncent depuis des années le manque de fiabilité de ces tests.

Oriane Mollaret  • 12 mars 2019
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Mineurs isolés étrangers : les tests osseux en question
© crédit photo : Christophe SIMON / AFP

Assan est un adolescent nigérian de 16 ans. Mais à son arrivée en France, à Lyon, à l’été 2018, sa minorité est remise en question. Sans le soutien d’étudiants lyonnais qui l’hébergent pendant la durée des procédures, l’adolescent aurait dû se contenter d’un bout de trottoir. Placé par les services de la protection de l’enfance en attendant que le parquet statue sur sa minorité, Assan prend peur et s’enfuit en janvier pour les Pays-Bas.

De nombreux jeunes migrants doivent subir les mêmes épreuves à leur arrivée sur le territoire français, et prouver à tout prix leur minorité pour être pris en charge par les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), gérée par les départements. Dans le cas contraire, c’est la rue et la peur permanente d’être expulsés qui les attendent. Après l’examen des documents d’identité des jeunes migrants et une évaluation sociale qui peut prendre de cinq jours à plusieurs semaines, des tests osseux leur sont souvent demandés.

Le jeune Adama, 15 ans, est arrivé à Mâcon en 2016. Tout d’abord reconnu mineur, il a été pris en charge par l’ASE jusqu’à son refus de se soumettre aux tests osseux demandés un an plus tard. Alors que le juge des enfants met fin à sa prise en charge, Adama cède et se soumet finalement à ces tests qui établissent qu’il a « entre 21 et 35 ans »… Malgré l’imprécision flagrante du résultat, Adama est décrété majeur et ne peut de ce fait plus être pris en charge par l’ASE. Après une confirmation de cette décision par la cour d’appel de Lyon, la défense du jeune homme forme un pourvoi en cassation et dépose une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : le Conseil constitutionnel examine donc à partir de ce mardi 12 mars si les tests qu’Adama a subis sont conformes ou non à la Constitution. Il devrait rendre son avis le 22 mars.

Bien que controversés depuis longtemps par la communauté scientifique et par les associations, ces examens radiographiques des os restent décisifs pour déterminer l’âge des jeunes migrants en France.

Une marge d’erreur de taille

« Il n’existe pas de preuves scientifiques de l’âge, martèle Clémentine Bret, référente mineurs en danger à Médecins du monde. Les tests osseux ne prouvent rien. Autant regarder dans du marc de café ou une boule de cristal, ce sera aussi fiable ! » Les tests osseux déterminent en effet un certain niveau de maturation des os et donnent une fourchette d’âge qui ne correspond pas forcément à leur âge civil (c’est-à-dire l’âge réel de l’enfant). De manière récurrente, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a exprimé sa défiance à l’égard de ces tests, et a réitéré sa position dernièrement dans une décision du 21 décembre 2018 :

Le Défenseur des droits s’est, de façon constante, opposé à l’utilisation des examens radiologiques en vue de la détermination de l’âge d’une personne. Il considère que le recours à ces examens, qui sont invasifs et non fiables, constitue une violation des droits constitutionnels de l’enfant, notamment le respect de sa dignité, de sa santé et de son intérêt supérieur. Il a donc produit des observations devant la Cour de cassation au soutien du renvoi devant le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 388 du code civil qui légalise le recours à ces examens osseux.

« On a des tests osseux faits sur des jeunes qui nous disent “il a 34 ans”… », sourit amèrement Clémentine Bert. Le Conseil national de l’ordre des médecins également s’oppose fermement à ces tests depuis plusieurs années. En particulier sur le fait qu’ils puissent déterminer la majorité d’un individu : car « autour de 18 ans, ce n’est pas fiable du tout ». La communauté scientifique estime en effet que, jusqu’à 12 ans, il existe une certaine correspondance entre l’âge osseux et l’âge civil, mais que les tests sont particulièrement peu fiables entre 15 et 19 ans. Soit précisément la fourchette d’âge critique pour les jeunes migrants. Malgré cela, « on a encore aujourd’hui des médecins qui cochent la case ‘’plus’’ ou ‘’moins’’ de 18 ans », déplore Clémentine Bret.

Le référentiel qui permet d’établir ces correspondances entre la maturation osseuse et l’âge civil – l’atlas de Greylich et Pyle – se base sur des examens réalisés dans les années 1930 sur des jeunes blancs et caucasiens aux États-Unis. « Ce référentiel n’a aucun sens, explique Clémentine Bret. Il y a des différences de maturation selon qu’on est caucasien ou africain, que l’on a été bien nourri ou non… Ces tests osseux ne sont pas censés donner un âge civil, et doivent être assortis de la marge d’erreur correspondante. »

Dans un avis de 2005 relatif aux méthodes de détermination de l’âge à des fins juridiques, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) alertait déjà sur _« un risque d’erreur majeur à l’égard d’enfants non caucasiens, originaires d’Afrique, ou d’Asie ». La marge d’erreur peut aller de 18 mois à trois ans, faisant ainsi la différence entre un mineur pris en charge par la protection de l’enfance, et un majeur en situation irrégulière et donc expulsable.

Des tests systématiques et orientés

En théorie, d’après l’article 388 du Code civil, les tests osseux peuvent être demandés par le parquet uniquement _« en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable ». Dans la pratique, les documents d’identité suffissent rarement. « Même si le jeune a, en plus de son acte de naissance, un passeport légalisé par l’Ambassade de France, précise Clémentine Bert. On regarde la photo puis on dit qu’elle ne ressemble pas trop au jeune, finalement. » D’après elle, les tests osseux sont ainsi devenus systématiques dans certains départements comme l’Hérault. Parfois, ils sont couplés à des tests dentaires qui ne sont pas plus fiables, fustige le CCNE.

Légalement, les jeunes peuvent refuser les tests osseux. Mais « si le jeune refuse, on trouve que c’est louche, et on peut se servir pour décréter qu’il est majeur, affirme Clémentine Bert. C’est pratique, il n’a alors plus droit à rien, se retrouve en situation irrégulière et peut être expulsé au moindre contrôle d’identité ». S’ajoutent à cela des risques de poursuites et d’incarcération pour avoir menti sur son identité, voire une reconduite directe à la frontière.

Se pose aussi la question du consentement véritable des adolescents examinés. « Le médecin doit respecter deux conditions, explique le Conseil national de l’ordre des médecins. Fournir la marge d’erreur, et d’après notre code de déontologie, s’assurer que le patient a bien compris, ce qui est particulièrement difficile dans le cas de présumés mineurs étrangers isolés. » Alors que les médecins légistes réquisitionnés par la justice doivent réaliser les tests demandés sous peine d’éventuelles poursuites, certains d’entre eux s’opposent radicalement à cette pratique. C’est le cas à l’institut médico-légal du CHU de Brest, où seuls deux médecins seraient volontaires pour les pratiquer.

Jusqu’à la promulgation de la loi sur la protection de l’enfance en 2016, les jeunes migrants étaient même soumis à des tests de puberté (examens gynécologiques notamment) au cours desquels des experts examinaient la maturation de leurs organes reproducteurs. Interdits depuis, ces tests sont toutefois encore pratiqués de manière détournée, selon Clémentine Bret : 

Certains jeunes nous disent qu’on leur a demandé d’enlever leur tee-shirt pour faire une radio, et on en profite pour regarder la carrure des garçons et le développement des seins des filles. On n’accepterait pas ça pour nos enfants !

Aucun médecin ne donnera précisément l’âge d’une personne

Pour le professeur Chariot, médecin légiste à Bondy et professeur de médecine légale qui pratique des tests osseux, le problème ne réside pas dans les tests en eux-mêmes mais dans l’interprétation qui en est faite par le parquet. « Le test ne permet pas de décréter : “Ce jeune a tel âge.” On demande son âge au jeune et on voit si l’âge qu’il donne correspond à sa maturation osseuse. Ce qui est délicat, c’est qu’on peut avoir une maturation osseuse adulte à partir de 14 ans et demi. Donc, si la personne dit qu’elle a 15 ans et qu’elle a une maturation osseuse adulte, on dit que c’est possible, et si elle dit qu’elle a 19 ans, c’est possible aussi. » C’est ensuite au magistrat de trancher sur la minorité ou la majorité du jeune, alors que scientifiquement, c’est impossible. « Aucun médecin ne donnera précisément un âge aujourd’hui, affirme catégoriquement le médecin légiste. Par contre, certains peuvent écrire qu’il est ‘’très probable’’ que la personne examinée soit majeure, et, quand un magistrat lit ceci, il va en déduire que la personne est bel et bien majeure. »

« Ces tests osseux ont été inscrits dans la loi parce qu’il n’existe pas d’autres outils pour évaluer l’âge physiologique, alors qu’on pourrait se contenter des documents d’identité du jeune et d’une évaluation sociale », déplore Clémentine Bert. Le professeur Chariot s’inquiète de l’éventuelle interdiction des tests et de leur remplacement par des évaluations plus aléatoires encore :

Quelle solution de remplacement ? Il faudrait une évaluation multidisciplinaire et coûteuse, et la tendance gouvernementale est aux économies. Si un collectif de spécialistes décide que tel garçon ou telle fille semble majeur, on ne pourra pas contredire leur décision comme un avocat peut aujourd’hui le faire avec les tests osseux.

Un avocat peut en effet contester le résultat des tests en faisant appel de la décision du parquet et en rappelant l’absence de fiabilité scientifique. Mais le temps que dure la procédure, qu’advient-il du jeune concerné ?

Le Conseil constitutionnel devra donc décider le 22 mars du maintien des tests osseux dans la procédure de prise en charge des jeunes étrangers isolés.

Pour Adama, en tout cas il est déjà trop tard. Le temps que la machine juridique se mette en branle, il a fini par fêter pour de bon ses 18 ans et se retrouve aujourd’hui en situation irrégulière.

Société
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