« Survivre à l’inhumain »

Comment un être privé de communication parvient-il à conserver son humanité ? C’est la question au cœur de Compañeros, qui relate l’incarcération de trois opposants politiques lors de la dictature uruguayenne.

Patrick Piro  • 26 mars 2019 abonné·es
« Survivre à l’inhumain »
© photo : Compañeros suit trois cadres des Tupamaros détenus pendant douze ans dans des conditions extrêmes. crédit : Tornasol Films

Dans les années 1960 et 1970, la guérilla des Tupamaros lutte en Uruguay contre les exactions de l’extrême droite et pour l’instauration d’une révolution socialiste. Le mouvement est mis en échec et ses principaux dirigeants sont arrêtés alors que le régime, passé sous la coupe de militaires, vire à la dictature de 1973 à 1985. Pendant ces douze années, neuf des cadres des Tupamaros sont décrétés « otages », menacés d’exécution à tout moment si la guérilla redémarre et détenus dans des conditions de privation extrême, torturés, isolés dans de petites cellules et régulièrement déplacés. Ils circulent cagoulés, ont interdiction de parler, et leurs gardiens ne doivent pas leur adresser la parole. Objectif : pousser leur corps et leur esprit à la limite du supportable et les rendre fous. Parmi eux, Mauricio Rosencof, Eleuterio Fernández Huidobro et José « pepe » Mujica, qui deviendra président en 2010.

Votre film, bien qu’intégralement situé à l’époque de la dictature, ne s’attarde pas à en développer une critique, pourtant constamment sous-jacente. Qu’avez-vous souhaité faire avec cette histoire ?

Álvaro Brechner : Ce film est l’exploration d’une question relative à notre condition que je considère comme essentielle : que reste-t-il d’un être humain quand tout ce qui constitue son humanité lui a été ôté ? Ses besoins de base ne diffèrent guère de ceux d’un animal : manger, dormir, respirer, etc. Mais quand on lui interdit le langage, la communication, tout ce qui en fait un être social, un tel degré d’isolement pousse l’individu à disparaître en tant qu’être humain. Au-delà de la torture physique et psychologique, comment fait-il dès lors pour survivre et se maintenir dans l’humanité ? Aborder cette question est une forme d’exploration de la folie. En tant que réalisateur, j’ai trouvé fascinant de pouvoir traiter d’une réalité aussi extrême.

Le traitement réservé pendant la dictature à

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Cinéma
Temps de lecture : 8 minutes