Hitler à la une

Les éditions Perrin publient des « entretiens oubliés » qui en apprennent autant sur les journalistes que sur le Führer.

Denis Sieffert  • 10 avril 2019 abonné·es
Hitler à la une
© crédit photo : UPI/AFP

Voilà un ouvrage qui résonne fortement avec l’essai de Michaël Fœssel, Récidive. 1938, dont Olivier Doubre a rendu compte ici même la semaine dernière. Il s’agit d’une série d’entretiens d’Hitler avec des journalistes occidentaux publiés entre 1923 et 1940. On y trouve quelques titres prestigieux comme le _New York Times, le Daily Mail ou le Daily Mirror, et côté français, de façon plus attendue, une presse qui allait se commettre avec plus ou moins de zèle dans la collaboration. Mais, quel que soit le destin de ces journaux, l’intérêt réside dans l’habileté manipulatrice d’Hitler et sa capacité à adapter son discours à ses interlocuteurs. Et là où il aurait fallu de la vigilance et de la rigueur pour dénoncer l’énormité du mensonge, il n’y a qu’aveuglement et complicité. Et parfois fascination, comme lorsqu’un journaliste de L’Illustration brosse le portrait de son hôte aux yeux « d’un bleu tendre […], un bleu innocent que seuls possèdent les tout-petits ». Et, nous dit-on, l’interviewer n’était pas connu pour ses sympathies nazies…

Aux journalistes américains ou britanniques, Hitler sert surtout le plaidoyer pro domo d’un homme uniquement soucieux de sortir l’Allemagne de la crise et de donner du travail aux chômeurs. C’est « Germany first », si l’on voulait parodier un slogan célèbre qui nous vient aujourd’hui d’outre-Atlantique. « Je cherche du travail pour tous les Allemands », dit-il à une journaliste du New York Times. « Mes seules pensées, mes seules préoccupations s’adressent à ceux qui, chez nous, en Allemagne sont dans le désespoir », poursuit-il. Nous avons là l’autoportrait d’un chef d’État préoccupé par « l’intérêt commun ». On l’entend mettre en garde les syndicats « repliés sur la défense d’intérêts particuliers ». On voit un impératif social dévoyé qui écrase les libertés. Le mensonge est aussi grossier quand il s’agit de rassurer la presse occidentale : « Le temps est venu […] où les nations doivent apprendre à se respecter mutuellement. » Ou encore : « On m’insulte en répétant que je veux faire la guerre. » Le propos date de 1933, le projet hitlérien est pourtant déjà clairement affiché.

Mais on en apprend dans ce livre autant sur les journalistes que sur le dictateur. Les interviews se déroulent comme si Mein Kampf n’avait pas été publié en 1925. Certains l’interrogent sur le sort des juifs avec une fausse crédulité. Dès 1923, dans un entretien à The American Monthly, le futur dictateur affirmait pourtant ignoblement : « De même que les syphilitiques et les alcooliques doivent être isolés et interdits de reproduction, de même les juifs ne doivent pas se mélanger aux Allemands. » Les documents publiés par les éditions Perrin en disent long sur le pouvoir de dissimulation du leader fasciste, habile à se relooker. Et sur la faiblesse insigne de certains journalistes face au pouvoir. Mais fallait-il que l’introduction soit confiée à Éric Branca, ancien rédacteur en chef de Valeurs actuelles ?

Les Entretiens oubliés d’Hitler, 1923-1940 Éd.Perrin, 304 pages, 22 euros.

Idées
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