« Isidore Isou » : Débordement vers l’infini

L’exposition « Isidore Isou » permet de redécouvrir l’œuvre titanesque d’un créateur aussi iconoclaste que prolifique.

Jérôme Provençal  • 9 avril 2019 abonné·es
« Isidore Isou » : Débordement vers l’infini
© crédit photo : philippe migeat

On ne peut que se réjouir de l’initiative prise par le Centre Pompidou de consacrer une exposition à Isidore Isou, personnage fascinant qui reste relativement méconnu. Arrivé à Paris en août 1945 à l’issue d’un long périple à travers l’Europe, Isou contribue à l’ébullition de Saint-Germain-des-Prés en prenant part à divers scandales et en impulsant en 1946 le mouvement lettriste, qui vise à révolutionner la poésie autant que la vie.

Projeté en continu dans l’exposition, le long-métrage Traité de bave et d’éternité (1951) constitue l’un des plus hauts forfaits de l’artiste – d’une audace toujours aussi éclatante. Grand inventeur de concepts, Isou y applique deux principes formels peu consensuels : la ciselure (altération de la pellicule) et la discrépance (disjonction radicale de la bande-son et de la bande-image).

Mort en 2007, à l’âge de 82 ans, ce créateur infatigable laisse derrière lui un corpus d’une ampleur considérable agrégeant de multiples disciplines – de la littérature aux arts plastiques en passant par le cinéma, l’architecture, l’économie ou encore l’érotologie, science de l’amour qu’il développe en particulier dans le livre Initiation à la haute volupté (1960). À la fois roman et traité, cet ouvrage est constitué de planches sur papier-calque mêlant textes et dessins, plusieurs étant visibles ici.

Conçue à partir du fonds d’archives acquis récemment par la bibliothèque Kandinsky, l’exposition parvient à refléter l’incroyable inventivité d’une œuvre hors normes en faisant un usage optimal de l’espace limité (deux salles de taille moyenne) où elle est présentée.

Sur les murs extérieurs des deux salles, à l’entrée de l’exposition, sont accrochés des tableaux issus de plusieurs séries datant de la période 1980-1993. Dans ces peintures très colorées, presque saturées, Isou s’attache à reproduire en miniature des œuvres de grands artistes (par exemple Van Gogh) et inscrit sur la toile des considérations sur leur art ou le sien ainsi que divers signes empruntés à d’autres idiomes ou inventés.

L’ensemble de la production artistique d’Isou assigne un rôle fondamental aux signes. En témoignent également ses œuvres « métagraphiques » ou « hypergraphiques », notamment les planches réalisées pour le livre Les Journaux des dieux (1950), qui revisite la Bible par le biais de drolatiques rébus visuels et textuels.

L’exposition donne aussi à voir certaines œuvres infinitésimales ou « supertemporelles », ces dernières ainsi nommées car elles sollicitent une intervention active de tous les visiteurs-­regardeurs potentiels et peuvent donc se transformer au-delà de tout cadre temporel – a priori jusqu’à l’infini.

En outre, sont rassemblés de nombreux documents (manuscrits, éditions originales, coupures de presse, cartons d’exposition, photos, affiches…), parmi lesquels des manuscrits préparatoires de La Créatique ou la novatique (1941-1976), livre-somme de 1 400 pages (1) synthétisant toute la pensée d’Isou.


(1) Publié en 2004 aux éditions Léo Scheer et Al Dante.

Isidore Isou, jusqu’au 20 mai, Centre Pompidou, Paris.

Culture
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