« L’Époque », de Matthieu Bareyre

Le documentaire est une traversée nocturne de Paris à la recherche de paroles de jeunes, qui se confient, évoquent leurs désirs, leurs peurs, leurs frustrations.

Politis  • 16 avril 2019
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« L’Époque », de Matthieu Bareyre
© crédit photo : Bac Films

Entre le lendemain des attentats contre Charlie Hebdo et la campagne pour la présidentielle de 2017, Matthieu Bareyre a filmé des jeunes dans Paris. L’affiche du film dit : « Regarde ta jeunesse dans les yeux » ; c’est une adresse à notre « époque ». Les jeunes qui y sont montrés ne forment pourtant pas « la » jeunesse d’aujourd’hui, mais une certaine jeunesse. Dans le dossier de presse, le cinéaste récuse lui-même la prétention sociologique que sous-tend cette adresse. L’Époque est une traversée nocturne de la capitale à la recherche de paroles de jeunes, qui se confient, évoquent leurs désirs, leurs peurs, leurs frustrations. Des jeunes bourgeois en goguette, des banlieusards sur les Champs-Élysées, des black blocs, une DJ, des participants à Nuit debout, Matthieu Bareyre a filmé aussi large que possible. On y entend par moments des propos qui résonnent fort, quand par exemple une jeune fille, entourée de ses amis, dit toute sa peur panique de se retrouver seule ; ou quand un garçon s’interroge sur sa capacité à résister à une société de consommation qui entraîne à avoir toujours plus sans que rien ne vienne questionner le sens d’une telle accumulation ; ou encore quand une autre jeune fille parle de son amoureuse en expliquant que celle-ci voit l’amour comme un donnant-donnant. « L’amour, c’est aussi un business », dit-elle.

Un peu à la manière de Pierre Lhomme et Chris Marker dans Le Joli Mai, Matthieu Bareyre pose à ses interlocuteurs des questions qui ouvrent sur de vastes perspectives. Mais poursuivre la comparaison écraserait L’Époque sous une trop lourde référence. Le documentaire de Bareyre, qui capte bellement la nuit sans être à la recherche de la belle image, est tour à tour passionnant, éclectique, inégal. Mais il devient tout à fait unique quand arrive sur l’écran celle qui ouvre et clôt le film : Rose. Rose est une jeune femme noire et révoltée qui convoque sur la place de la République, où elle est filmée, la vie, la mort, les migrants, les SDF, les pays d’Afrique et François Hollande, la lutte contre l’injustice et le racisme, dans un flot de paroles où se mêlent son rire souvent, ses larmes parfois. Rose captive, aspire la caméra. Le spectateur, en l’occurrence, ne cesse de la regarder dans les yeux. D’évidence, Matthieu Bareyre sait qu’il tient avec elle un grand personnage de cinéma et il lui donne une place de choix. On se prend à rêver d’un autre film dont elle serait l’héroïne.

Ne serait-ce que pour Rose, il ne faut pas rater L’Époque.

L’Époque, Matthieu Bareyre, 1 h 30.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes
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